Collaboration de Josée Guillot, conseillère pédagogique à la Commission scolaire Lester-B.-Pearson et de Julie Paré, conseillère pédagogique en français, langue seconde, LEARN.


Au premier cycle de primaire, beaucoup de temps est consacré à l’enseignement de l’écriture. Selon les études menées par Marr et Cermak (2001), citées dans Lavoie et al. (2013), 60 % du temps des élèves est accordé au développement de la calligraphie. L’enseignement de la calligraphie fait partie du programme de français, langue d’enseignement des écoles québécoises. Toutefois, on ne la mentionne pas dans nos programmes de français, langue seconde (base et immersion) et dans ceux d’English Language Arts. Il revient donc à l’équipe-école de décider du choix d’écriture à enseigner.

PFÉQ, Programme français, langue d’enseignement, (2006)

Force est de constater que dans plusieurs de nos écoles québécoises, les élèves font face à deux types d’apprentissages de l’écriture pendant le premier cycle du primaire. Les élèves de première année apprennent l’écriture script (« lettres détachées », « lettres moulées ») et les élèves de deuxième année apprennent l’écriture cursive (« lettres attachées »). Est-ce par habitude ou tradition que nous mettons tant d’efforts à enseigner deux types de calligraphie à nos jeunes apprenant.e.s ?

La compétence à écrire

L’écriture d’un texte est une activité complexe qui demande la coordination d’habiletés cognitives et métacognitives. Selon le modèle d’écriture d’Isabelle Montésinos-Gelet, spécialiste de la didactique à l’Université de Montréal, la compétence à écrire est divisée en quatre niveaux d’habiletés cognitives :

    • La conceptualisation (haut niveau) : produire et sélectionner des idées.
    • L’énonciation (haut niveau) : transformer les idées en phrases.
    • L’encodage (bas niveau) : l’orthographe, correspondance phonème-graphème.
    • La matérialisation (bas niveau) : la graphomotricité, le geste d’écrire.

« Les habiletés graphomotrices réfèrent aux apprentissages liés […] à la mémorisation de la forme des lettres, à la gestion du tracé, à la reconnaissance des formes graphiques et au développement d’une fluidité d’écriture ».
– Lavoie, Morin & Labrecque, 2015, p. 178

Dans le processus d’écriture, on pourrait croire que les habiletés graphomotrices de bas niveau sont plus ou moins importantes. Or, dès les premiers pas de l’écriture, il est primordial de développer l’aisance graphomotrice. « En effet, en début d’apprentissage, le geste graphique mobilisé dans l’action d’écrire résulte d’un mouvement volontaire dont tout le déroulement est sous le contrôle conscient et continu de l’apprenant et demande un effort soutenu d’attention de sa part. »  (Labrecque, Morin & Montésinos-Gelet, 2013).

Donc, le geste graphomoteur doit être automatisé le plus rapidement possible dans l’apprentissage pour que l’élève puisse écrire sans effort cognitif conscient et ainsi se concentrer davantage sur les autres habiletés pour développer sa compétence à écrire.

Le plaisir d’écrire, ça se prépare! (2018)

L’enseignement de la graphomotricité

Certaines études démontrent qu’offrir un enseignement explicite, direct et différencié de l’aspect graphomoteur en écriture combiné avec un
retour réflexif de l’élève sur ses habiletés permettrait un meilleur développement des habiletés.

L’enseignant.e doit donc enseigner ou corriger la posture, le support (ajustement du mobilier, type et positionnement de la feuille), les mouvements du tracé des lettres et l’outil (type et prise de crayon). 

Il est aussi intéressant de constater qu’un enseignement direct pourrait soutenir grandement ce développement chez les apprenants qui présentent certaines lacunes graphomotrices.

« Les recherches actuelles sont en mesure de montrer que le geste graphomoteur présente non seulement un processus complexe à développer et à automatiser pour le jeune scripteur, mais qu’il joue un rôle important dans le développement de la compétence à écrire et peut-être même dans le développement de la compétence à lire. »
– Labrecque, Morin & Montésinos-Gelet, 2014

Et quel style d’écriture : le script ou la cursive ?

Lorsqu’on parle de graphomotricité à l’école primaire, une question se pose : doit-on enseigner l’écriture script ou cursive ? Rappelons-nous qu’au premier cycle, nous voulons automatiser le geste moteur. Grazellia Pettinati (2011), graphopédagogue, explique dans son guide « Le plaisir de bien écrire » comment elle a longtemps considéré « L’écriture comme le miroir de l’âme… ».

Selon elle, l’écriture script est souvent comparée au dessin de lettres. Force est de constater que certains de nos élèves qui écrivent en script ne suivent pas toujours le même chemin lorsqu’ils dessinent une lettre ; certains commencent à tracer par le haut et d’autres par le bas, certains font la boule en premier ou en dernier. Cette reproduction de la forme des lettres rend parfois l’apprentissage de l’espacement entre les lettres et entre les mots plus difficile et peut nuire à l’automatisation du geste graphomoteur. Il est important de se rappeler que l’écriture doit démontrer de la souplesse, de la fluidité et de la spontanéité.

En revanche, l’écriture cursive soutient la maîtrise du mouvement et l’apprentissage simultané de ces espaces, le mouvement du crayon est continu et la dimension des lettres change peu et réduit les chances de produire des lettres miroir (b/d, p/q). Le tracé permet une fluidité du geste moteur qui favorise l’automatisation. L’accent est mis sur l’écriture du mot et non pas la lettre ce qui permet de mieux comprendre le mot et de ce fait le lire avec plus de facilité. Selon Pettinati, l’enseignement des lettres doit toujours se faire en contexte, c’est-à-dire favoriser l’écriture de la lettre à l’intérieur d’un mot.

D’autres recherches menées dans le milieu scolaire à ce sujet démontrent que les habiletés des élèves qui ont appris seulement l’écriture cursive ont des résultats nettement supérieurs en orthographe, en syntaxe et en productions écrites comparativement aux apprenants qui sont confrontés à l’apprentissage de deux sortes d’écriture (script en 1re année et cursive en 2e année).

Tableau comparatif des styles d’écriture

(inspiré de Villegas-Kerlinger, 2019: Écriture cursive ou écriture scripte, telle est la question!)

L’apprentissage de l’écriture :
Témoignages des membres de notre communauté

Madame I, classe de 2e année, LBPSB

Depuis 2 ans, les élèves de notre école apprennent l’écriture cursive depuis la première année. Lorsque les élèves apprenaient en script en 1re année et qu’ils arrivaient en 2e année, je passais plus de trois mois en début d’année à leur montrer l’écriture cursive ; c’était une perte de temps. En leur enseignant l’écriture cursive dès le début du premier cycle, lorsqu’ils sont arrivés en 2e année, j’ai gagné trois mois d’enseignement et les élèves ont donc gagné trois mois d’apprentissage.

Nous avons beaucoup travaillé la conscience phonologique en début de cycle ainsi que l’automatisation du geste graphomoteur, j’ai donc constaté que lorsqu’ils écrivent c’est plus facile pour eux et c’est aussi plus rapide, l’espace entre les mots se fait automatiquement et moins d’énergie est consacrée à la formation des lettres. Leur écriture est lisible et fluide ce qui leur permet de se lire entre eux.

Je n’ai pas enseigné avec un cahier de calligraphie, ce qui me semblait difficile au début. J’ai suivi une formation donnée par une graphopédagogue et j’ai été surprise de la simplicité de son enseignement. À partir d’une feuille blanche au début à une feuille lignée par après, les élèves ont développé leurs habiletés graphomotrices.

Les parents sont fort impressionnés par la calligraphie de leur enfant, il n’y avait aucune réticence de leur part pour cet enseignement. J’aimerais partager mes conseils aux enseignantes qui se questionnent encore : ne pas hésiter, les élèves apprennent rapidement, c’est facile !

Élèves, classe de 2e année, LBPSB

J’aime l’écriture cursive parce que c’est différent de tous les autres et c’est plus « fancy », parce que c’est une très belle écriture, j’aime écrire parce que j’attache les lettres. Certaines sont plus difficiles que d’autres, je pense à la lettre « z » et la lettre « w », la lettre « k » aussi.

Que fais-tu pour t’améliorer ?
Je me pratique à l’école et à la maison.

Comment tes parents t’ont-ils encouragé à écrire en cursive ?
Mes parents disent que c’est bon, Ils sont très surpris parce qu’ils aiment beaucoup, Ils disent que c vraiment bon, toute la famille dit ça.

Comment ton enseignante t’a-t-elle encouragée ?
Que c’est bon, la deuxième fois tu peux faire plus comme ça, pour la lettre « w » elle m’a aidée, elle a dit de refaire jusqu’à ça soit bien.

Décision éclairée d’équipe-école

Finalement, l’écriture cursive semble avoir plusieurs avantages. En revanche, aucune recherche à ce jour ne démontre scientifiquement qu’elle devrait être privilégiée au lieu de l’écriture script. 

Or, les experts s’entendent : il faut éviter à tout prix le double apprentissage (script en 1re année et cursive en 2e année) qui met nos jeunes apprenant.e.s en position de surcharge cognitive et semble retarder l’automatisation de la graphomotricité. Il vaut donc mieux favoriser l’enseignement d’un seul type d’écriture.  

Afin de favoriser la compétence à écrire chez nos élèves, il importe que ce choix soit maintenu tout au long de la scolarité de l’élève ; de la 1re année à la fin de la 6e année. Malgré le fait que l’enseignement de l’écriture ne soit pas prescrite par notre programme, il s’avère judicieux que la décision prise par l’équipe-école soit un choix éclairé. 

Est-ce par habitude ou tradition que nous mettons tant d’efforts à enseigner deux types de calligraphie à nos jeunes apprenant.e.s ?  

Amenons la question encore plus loin…

En 2022, avec l’omniprésence de la technologie tant dans nos vies privées que professionnelles, devrait-on abandonner l’enseignement de l’écriture manuscrite au profit du clavier ?

Josée Guillot

Josée est conseillère pédagogique en littératie précoce pour LBPSB. Enseignante et apprenante dans l’âme, elle se penche sur les meilleures pratiques d’enseignement. Elle œuvre au primaire en FLS depuis plusieurs années. Superviseure de stage à l’UQAM et passionnée de la littérature jeunesse, Josée est animée par ce désir d’apprendre afin de mettre en pratique et de peaufiner ses pratiques pédagogiques.


Ressources pour enseigner la graphomotricité :

En mouvement, j’écris! Programme d’enseignement explicite de l’aspect graphomoteur en écriture en 1re année du primaire.

Graphomotricité – Le plaisir d’écrire, ça se prépare!


Ressources pour les parents : 

Apprendre à écrire


Bibliographie :

Centre de transfert pour la réussite éducative du Québec (CTREQ). (2018). Le plaisir d’écrire, ça se prépare ! https://www.ctreq.qc.ca/wp-content/uploads/2018/12/Rapport_Graphomotricite%CC%81_dec2018.pdf, consulté le 24 avril 2022.

Charron, A. & Montésinos-Gelet, I. (2016). Des dispositifs variés pour aborder les quatre composantes de l’écrit, Vivre le primaire, 29(2), 45-47. AQEP.org. https://aqep.org/wp-content/uploads/2016/05/VLP_Vol29No2_Web-45-47.pdf, site consulté le 24 avril 2022.

Faucher, N. (2013). Le code Castenay : Lettres attachées et détachées : un double apprentissage qui pourrait nuire aux enfants [Vidéo]. Télé-Québec. Pixcom. https://enclasse.telequebec.tv/contenu/Lettres-attachees-et-detachees-un-double-apprentissage-qui-pourrait-nuire-aux-enfants/14303.

Labrecque, D., Labrecque, N., Cantin, N. & Morin, M.-F. (2019). Le plaisir d’écrire, ça se prépare ! https://institutta.com/wp-content/uploads/2019/03/V2.5itaPPT.pdf, consulté le 24 avril 2022.

Labrecque, A. M., Morin, M.-F. & Montésinos-Gelet, I. (2013)Quelle place est accordée à la composante graphomoteur dans les classes au début du primaire? Nouveaux cahiers de la recherche en éducation, 16(1), 104-133. DOI: https://doi.org/10.7202/1025765ar, site consulté le 24 avril 2022.

Lavoie, N., Morin, M.-F. & Montésinos-Gelet, I. (2011). Enseigner l’écriture script-cursive au primaire : une pratique pédagogique mise en question. Vivre le Primaire, 24(2), 9-15. https://lectureecriture.ca/wp-content/uploads/2014/08/Morin-Lavoie-et-Mont%C3%A9sinos-Gelet-2011.pdf, site consulté le 24 avril 2022.

Lavoie, N., Morin, M.-F., Coallier, M. & Carrier, J. (2013). Une approche pédagogique pour travailler les compétences graphomotrices en écriture au premier cycle du primaire. Université du Québec à Rimouski. http://seduc.csdecou.qc.ca/prim-fra/files/2018/05/Lavoie_Morin2016_programmegrapho1er.pdf, site consulté le 24 avril 2022.

Ministère de l’Éducation du Québec. (2006). Programme de formation de l’école québécoise : Domaine de langues, 69-95. http://www.education.gouv.qc.ca/fileadmin/site_web/documents/education/jeunes/pfeq/PFEQ_francais-langue-enseignement-primaire.pdf, site consulté le 22 avril 2022.

Morin, M.-F., Lavoie, N., Labrecque, A.M., & Coallier, M. (2016). Développer l’aisance graphomotrice en 2e année du primaire par un programme d’enseignement explicite en écriture. Vivre le primaire, 29(2), 22-25. https://aqep.org/wp-content/uploads/2016/05/VLP_Vol29No2_Web-22-25.pdf, site consulté le 24 avril 2022. 

Pettinati, G. (n.d.). Le plaisir de bien écrire, Guide et exercices pratiques pour apprendre et réapprendre l’écriture cursive. [Présentation]. Montreal, QC.

Villegas-Kerlinger, M. (2019). Écriture cursive ou écriture script, telle est la question! L-express.com. https://l-express.ca/ecriture-cursive-ou-ecriture-scripte-telle-est-la-question/, site consulté le 24 avril 2022.