rédigé par Suzanne Fradette
Suzanne est une passionnée de la langue française et de l’enseignement aux adultes. Elle est spécialiste de didactique et de formation linguistique en (FLM), français langue maternelle, (FLS), (FLE) français langue seconde et étrangère, et de (FLI), français langue d’intégration. Lauréate du Prix Hommage Ghislaine Coutu-Vaillancourt, elle contribue activement à la francophonie et à la valorisation du français langue seconde.

« BON MATIN TOUT LE MONDE ! » Une salutation qui interpelle

Comment vous sentez-vous quand vous entendez cette salutation? Est-ce qu’elle vous choque, vous réjouit ou vous laisse indifférent·e? Certains dénoncent l’anglicisme, tandis que d’autres l’acceptent comme nouvelle forme de salutation.

La langue française évolue, ce qui est naturel. C’est le résultat de son immersion dans la société dans laquelle elle évolue. Chaque discours ou chaque prise de parole, et ce, quelle que soit la situation de communication, contribue, d’une certaine façon, à l’évolution de la langue. En tant qu’enseignant·e de français langue seconde (FLS), vous êtes aux premières loges de l’évolution de la norme parlée et de ce qui est enseigné en salle de classe.

Revenons au cas de bon matin.

État des lieux

Depuis quelque temps déjà, bon matin, bien que déconseillé par l’Office québécois de la langue française, est de plus en plus utilisé au Québec, se substituant à bonjour. Et, tout comme bonjour, bon matin, en tant que salutation, sert habituellement à établir en français un contact entre des individus en préambule à la conversation. 

Explication par comparaison : Certains expliquent l’emploi de bon matin, en le comparant à celui des bonne journée, bonne nuit, bon après-midi, bonne soirée, qui sont employés régulièrement dans la francophonie au cours d’une journée. Dans ces situations, le locuteur, après avoir signalé la fin de la conversation, adresse à son interlocuteur un souhait de bien-être, et, dans certains cas, accompagné d’une salutation.

 

… bon ben (signale la fin de la conversation), bonne fin de journée (souhait).

… bon ben à bientôt (signale la fin de la conversation), bonne fin de journée (souhait), au revoir (salutation).

Si cette logique est respectée, par conséquent, le bon matin devrait figurer en tant que souhait, accompagnant les éléments linguistiques employés pour clore une conversation. 

Ce qui ne pourrait s’envisager en raison de l’aspect duratif du mot matin.

En raison de la notion de durée, il est important de préciser que matin, qui signifie début du jour, présente un point dans le temps, contrairement à journée, nuit, après-midi et soirée, qui véhiculent une durée. 

Respectant cette logique, matinée représenterait alors la valeur temporelle de durée en français qui complèterait la série journée, nuit, après-midi et soirée :  mais non, bon matin. 

Ceci dit, force est d’admettre que le couple linguistique composé de l’adjectif bon et du nom matin ne fait pas « bon ménage ».

De bon matin à bon midi

Toujours dans le contexte de substitution de bonjour par bon matin, la combinaison bonjour – bon matin s’entend maintenant en tant que salutation en préambule à la conversation. Cette formule hybride associe la salutation usuelle en français (bonjour) et une traduction calquée sur l’anglais (good morning). Une association, à tout le moins, intéressante.  

La toute dernière, tout aussi intéressante, et qui vient de faire son apparition dans les médias, est la salutation bonjour-bon midi, dont la formation est ainsi calquée sur bonjour-bon matin, et dont l’utilisation, par des francophones, s’applique à un autre moment de la journée.


Conclusion : Accompagner les élèves face à l’évolution linguistique

En somme, bien que bon matin ne soit recommandé en tant que salutations, son usage illustre l’évolution de la langue française, sous l’influence de divers contextes sociolinguistiques. En tant qu’enseignant·e de français langue seconde, il est nécessaire de guider les élèves vers une compréhension nuancée de ces évolutions, en leur rappelant que la langue est vivante et en transformation. Accepter et analyser ces variations permet non seulement d’enrichir leur apprentissage, mais aussi de leur donner confiance dans leur maîtrise du français, tout en leur offrant les outils pour naviguer entre norme et usage. En analyse conversationnelle, si bon matin ne trouve pas une place de choix en tant que salutation, alors, en tant que souhait, il y figure beaucoup mieux.

Avec vos élèves, n’hésitez pas à faire des exercices de comparaison entre l’avant et maintenant. Pour ce faire, visionnez et analysez des publicités dans YouTube; ou encore, revenez à des émissions de télé qui datent de quelques ou de plusieurs années. Ou simplement échangez avec vos parents, vos grands-parents.  

Vos élèves vivent parfois une insécurité linguistique dans ce contexte d’apprentissage. Vous pouvez les rassurer : toutes les langues évoluent.