Ce n’est pas sans raison que depuis bientôt 15 ans, le programme de formation de l’école québécoise semble toujours confortablement installé au centre d’une polémique. Certains lui sont favorables alors que plusieurs lui sont farouchement opposés. En effet, la “réforme” en éducation de 2001, que l’on devrait pourtant appeler “renouveau pédagogique” depuis déjà plusieurs années, constitue un éternel incompris; incompris de la société en général mais plus particulièrement des élèves, des parents et même de plusieurs enseignants. On ne peut s’attendre à ce que la réussite du programme de formation soit complète si celui-ci n’est implanté qu’en partie. Ainsi, toutes les composantes du programme doivent se conjuguer afin d’en permettre le plein potentiel. Parmi les divers éléments de cet ambitieux programme, il en figure deux qui, pourtant dignes d’intérêt, se retrouvent à toute fin pratique absentes de la pédagogie au quotidien : les domaines généraux de formation ainsi que les compétences transversales. Ici se joue une véritable tragédie: ces deux éléments ont vu le jour certes mais sans être entretenus, nourris ou protégés. Sans dire un mot, nous avons en quelque sorte assisté à la mort prématurée de nourrissons “pédagogiques” à qui l’on avait pourtant bel et bien donné vie. Mais pourquoi s’intéresser à eux?
L’IMPLICITE ET L’EXPLICITE
Le programme de formation rend explicite ce que nous vivons de façon naturelle et implicite. Ainsi, tôt ou tard et cela naturellement, nous faisons tous appel à ce que le programme a nommé « compétences transversales » et nous évoluons au sein d’une société imprégnée des thèmes reflétés par ce que le programme a intitulé « domaines généraux de formation ». Le fait de nommer une chose cependant lui donne vie. En rendant explicite l’implicite, une attention toute particulière est portée à ce qui nous intéresse. En conscientisant explicitement les élèves quant à la nature et l’apport des compétences transversales et des domaines généraux de formation, ces derniers sont en mesure d’avoir un impact considérable sur leur apprentissage.
LES COMPÉTENCES TRANSVERSALES ET LEUR UTILITÉ
Le programme de formation de l’école québécoise s’articule autour de compétences disciplinaires précises tout en se reposant sur des connaissances spécifiques à acquérir. Le but: fournir à l’élève toutes les munitions nécessaires à son développement en tant qu’individu. Cependant, les compétences disciplinaires traditionnelles (Sciences, Langues, Mathématiques, etc.) ne sont pas suffisantes. Qu’en est-il des habiletés sociales essentielles au bon fonctionnement de tout individu telles que la socialisation, la communication et la collaboration? Celles-ci également jouent un rôle crucial dans l’épanouissement de tout être humain. Voilà où entrent en jeu des compétences qui ne se rattachent pas spécifiquement à un domaine disciplinaire; ces compétences revêtent un caractère générique. Elles traversent la barrière des disciplines d’où la raison de leur appellation “compétences transversales”. Le programme de formation de l’école québécoise en a identifié neuf, elles-mêmes catégorisées en 4 sections.
Depuis l’implantation du renouveau pédagogique québécois au début des années 2000, il y a eu une sur-utilisation de l’expression “compétence transversale”. Celle-ci en a beaucoup souffert, tant et si bien que l’emploi de cette expression a été pervertie, ridiculisée, voire abandonnée. La valeur de ces compétences est néanmoins certaine, non négligeable et même souhaitable. Comme mentionné précédemment, le développement des compétences transversales peut favoriser l’épanouissement des élèves, non pas seulement dans un contexte scolaire mais également dans un contexte général de vie.
Nous parlons de plus en plus d’habiletés ou de compétences du 21ème siècle et cela même si certains experts affirment que ces compétences existent depuis aussi longtemps que l’époque de Platon (Rotherham & Willingham, 2010) D’autre part, plusieurs pédagogues se sont familiarisés avec les 4 “C” (Critical thinking, Communication, Collaboration, Creativity) mis en évidence par l’organisme américain Partnership for 21st Century Skills. En réalité, plusieurs listes ont été dressées dans le but d’indiquer la teneur de ces habiletés. La plupart de ces listes se subdivisent en sous-catégories dont la nomenclature diffère selon la source. Voici une grossière vulgarisation des éléments communs à ces différentes listes (sans sous-catégorisation):
- pensée critique et la résolution de problèmes
- créativité
- communication orale
- communication écrite
- collaboration
- application de la technologie de l’information
- leadership
- éthique de travail
- reponsabilité sociale
- littéracie numérique et éducation aux médias
Cette liste ne s’apparente-t-elle pas à celle des compétences transversales pourtant précisées dans le programme de formation de l’école québécoise depuis 2001?
En comprenant réellement ce qu’elles sont et ce qu’elles représentent, peut-on vraiment s’opposer aux compétences transversales?
LES DOMAINES GÉNÉRAUX DE FORMATION ET LEUR UTILITÉ
Les DGF sont d’une grande utilité. “Pourquoi il faut apprendre ça?” Il n’y pas un enseignant qui n’ait eu l’honneur d’entendre cette phrase provenant d’un élève désillusionné quant aux vertus de l’éducation. Cette question agace la plupart des enseignants, car ces derniers peuvent avoir l’impression qu’elle provient d’un enfant pourri-gâté. Mais réfléchissons-y un instant. Les enseignants se posent-ils toujours la question “pourquoi faut-il que mes élèves apprennent ça?” Parce que “ça”, on l’a toujours enseigné?
Bien que l’instruction et l’apprentissage constituent la vocation principale de l’école, ceux-ci sont loin d’être ce qu’il y a de plus important pour les jeunes qui la fréquentent, particulièrement pour les adolescents. L’éducation est comme un arbre balloté par un vent caractérisé par un tas de facteurs qui se bousculent pour occuper la plus grande place dans la vie estudiantine de nos jeunes: vieilles habitudes académiques, découverte de soi et des autres, détermination ou indifférence quant à la réussite scolaire, camaraderie et intimidation, activités parascolaires, pulsions sexuelles, fierté et honte, liesse et désespoir. Parmi tous ces facteurs, l’apprentissage n’en est qu’un parmi tant d’autres! Cet arbre se doit d’avoir des racines robustes et profondes, car l’apprentissage lui-même pourrait “partir au vent”. Ces racines, ce sont nos DGF (domaines généraux de formation). Ceux-ci, avec un bon usage, ancrent l’apprentissage dans un tout logique et significatif.
Les domaines généraux de formation se composent de thèmes représentant des préoccupations et enjeux importants de notre société. Les élèves doivent être particulièrement interpelés par ceux-ci, car ils sont appelés à être des membres actifs de cette dernière. Le programme éducatif québécois identifie cinq DGF qui s’articulent autour d’axes de développement spécifiques.
COMPÉTENCES TRANSVERSALES ET DGF AU QUOTIDIEN…
Au jour le jour, le rapport qu’entretient le monde de l’éducation québécois avec les compétences transversales et les domaines généraux de formation est ambigu.
Officiellement, deux compétences transversales par année. Plusieurs enseignants se fient alors à leur mémoire pour déterminer à quelle compétence ils ont touchée et avec quelle efficacité chaque élève s’y est adonné. Certaines écoles décident unanimement des deux compétences à évaluer. Cependant, il existe une grande différence entre “toucher à une compétence” et “travailler au développement d’une compétence”. On peut aisément identifier des compétences sollicitées par toute situation d’apprentissage après que celle-ci ait eu lieu. Cette action n’a aucune valeur pédagogique, car elle ne profite en rien à l’apprenant. Travailler au développement d’une compétence est cependant un geste prémédité et réfléchi. L’enseignant identifie à l’avance et explicite quelle compétence sera travaillée. Il en parle à ses élèves et ceux-ci, dans le feu de l’action, demeurent conscient du fait qu’ils doivent accomplir la tâche qui leur est dévolue tout en travaillant au développement de compétence ciblée. Dès lors, l’évaluation de ces compétences, lorsque vient le temps du bulletin, sera d’une bien plus grande valeur.
Quant aux domaines généraux de formation, force est de constater qu’ils ne semblent avoir jamais réellement pris vie. Ils sont là, tout le monde en entend parler mais les enseignants mettent très peu d’accent sur ces derniers au quotidien. Pire encore, plusieurs ne savent pas les identifier et encore moins expliquer ce que le programme de formation en dit.
LA RÉACTION DU MEESR
Les pédagogues travaillant au MEESR (Ministère de l’éducation, de l’enseignement supérieur et de la recherche) font montre d’une grande compétence pédagogique et encouragent souvent les enseignants à bien utiliser les compétences transversales et les domaines généraux de formation. Lorsqu’ils guident des enseignants dans la rédaction de documents pédagogiques, ils s’assurent que ces derniers en tiennent compte. Lorsqu’ils créent ou approuvent des SAÉ (situations d’apprentissage et d’évaluation), ils montrent l’exemple en identifiant clairement les DGF et les compétences transversales ciblés par les diverses tâches qui composent la situation d’évaluation.
Cependant, force est de constater que le MEESR a aussi adopté un comportement ambigü quant à la promotion de ces deux sphères du programme. En effet, alors qu’il existe bel et bien 9 compétences transversales, le MELS invitent les enseignants, depuis l’automne 2010, à n’en évaluer que deux sur une possibilité de quatre (par évaluation, on n’entend pas ici accorder une note mais bien d’officiellement préciser lesquelles ont été travaillées…ou plutôt touchées). Ceci a malheureusement créé une confusion chez plusieurs enseignants, qui croient qu’il “n’existe plus que quatre compétences transversales” depuis. Ceci n’a aucun sens. En effet, pourquoi travailler à ce que nos élèves deviennent des individus complets…à moitié?
La même année, le MEESR modifie l’appellation des compétences transversales au profit de “certaines compétences” comme s’il en avait désormais honte. Était-ce une réponse directe à la grogne populaire de la société qui de toute évidence n’en voyait ni l’utilité ni la portée? Peu importe la réponse, le fait demeure que ces circonstances pour le moins désolantes ont eu pour effet de créer un climat peu favorable à la bonne exploitation de ces deux composantes du programme.
POURQUOI ET COMMENT REMÉDIER À CETTE SITUATION
Comme il a été précisé plus tôt, faire un usage des DGF ancrera l’enseignement dans une réalité plus signifiante tandis qu’exploiter les compétences transversales fera de nos élèves des jeunes mieux équipés pour “la vraie vie”. Enfin, ces deux éléments du programme sont essentiels à l’atteinte de ses visées pédagogiques.
Nous parlons depuis longtemps de l’importance d’engager nos élèves dans des situations pédagogiques authentiques et signifiantes. Si c’est bel et bien le cas, les enseignants peuvent s’assurer de faire constamment et explicitement référence au DGF touchés. Ils peuvent le faire à de nombreux moments: lorsqu’ils présentent la situation d’apprentissage, lorsqu’ils font des retours sur celle-ci pour évaluer de façon formative là où en sont rendus les jeunes, lors de la présentation du produit final et lorsqu’ils incitent au réinvestissement de ce qui a été appris. Alors l’élève n’aura plus constamment à se demander pourquoi il doit apprendre ceci ou cela, car il en comprendra l’importance. Quant aux compétences transversales, un enseignant peut prendre l’habitude de distribuer avant chaque tâche une grille critériée détaillant les parties essentielles d’une compétence transversale. S’il choisit de mettre l’emphase sur une compétence spécifique, il peut le faire en demandant à ses élèves de remplir la même grille plusieurs fois mais à des moments différents. Pour chaque tâche à accomplir, l’élève doit ici savoir deux choses: quel est le but de la tâche et quelle est la compétence transversale à travailler ce faisant.
Voici deux exemples de documents (DGF expliqués simplement, évaluation d’une compétence transversale) qui peuvent être utilisés en classe.
LE FUTUR DE NOS ÉLÈVES
L’image de l’éducation au Québec n’est guère reluisante et cela depuis plusieurs années. La “réforme” est critiquée de tous bords tous côtés. La “réforme” a-t-elle réellement eu lieu? Si nous passions toute une journée dans une salle de classe du secondaire, pourrions-nous vraiment dire que les pratiques pédagogiques ont fondamentalement changé depuis les quatorze dernières années?
Il est clair qu’un manque de cohérence, de cohésion et de rigueur ébranlent le fondement académique des jeunes québécois. La communauté de pédagogues se doit de faire mieux quant à ce qui relève de ses prérogatives. Le respect du programme de formation dans son intégralité fait partie de cela et en son sein figurent deux axes essentiels qu’il ne faut plus ignorer: les DGF et les compétences transversales. Le programme en soi est d’une grande qualité mais son plein potentiel est loin d’avoir été exploité. C’est comme perdre une partie de cartes en ayant en mains les deux “Jokers” d’un jeu dont celles-ci sont les plus fortes.
Les domaines généraux de formation et les compétences transversales: est-il réellement trop tard? Sont-ils réellement morts après avoir à peine vu le jour? Serait-il possible de leur insuffler un second souffle et constater ce que leur présence pourrait amener? Il n’y a aucun progrès possible dans le statu-quo! Pourquoi donc ne donc pas essayer différemment, car après tout, il en va du futur de nos élèves.
Kish, This is a very good analysis of the journey that has been the reform. I taught in elementary schools when the reform was being piloted there and then in high schools when it was brought through the secondary levels, and now I am in adult education and the reform (or the renewal) has followed me here.
You ask: La “réforme” a-t-elle réellement eu lieu?
I do not think it has really taken place and I think it is precisely because of the reasons you state above. The Cross-Curricular (or Operational) Competencies and the Broad Areas of Learning are (what I consider to be) the backbones of the reform yet they have been lost in the scramble to implement the reform without working on changing how we think about learning and its evaluation.
And when I say working on, I mean that – it is hard work to change the way so many of us think about teaching and learning. We may want change, but many balk at the work it takes to change. It reminds me of the cartoon in this tweet, https://twitter.com/posickj/status/589394382702403584
I think, though, that this hard work is important and worthwhile. I do not think it is too late. This is an important conversation to have, Kish. Thanks for drawing me in with your post.
Merci pour ce billet, Kish !
Tu as su dire si bien ce que je pense du trajet qu’a pris le renouveau pédagogique. Les compétences transversales restent pour moi le coeur de la réforme – les « vraies choses » qu’on devrait apprendre à l’école.