Collaboration spéciale de Marc-Albert Paquette, conseiller pédagogique, LBPSB et Julie Paré, conseillère pédagogique, LEARN
On connait déjà le parent hélicoptère (ce parent qui a tendance à être trop protecteur, qui veut prévenir tous les possibles dangers et les difficultés auxquelles son enfant pourrait faire face), mais connaissez-vous l’enseignant.e hélicoptère ? Eh oui, nous ne faisons pas exception à la règle. Plusieurs d’entre nous avons tendance à vouloir en faire trop pour nos élèves.
Peut-on nous en vouloir ? Si nous sommes bien placés pour connaitre les dangers d’une virgule mal placée, nous sommes surtout très conscients de la pression liée à l’échec éventuel d’une épreuve ministérielle et de son impact sur la suite du parcours scolaire de l’élève. Alors, on encadre nos élèves de nombreuses structures pour qu’ils soient fin prêts pour les interactions en table ronde, on leur donne toutes les étapes (la recette !) pour écrire un texte qui incitera le lecteur à agir, et ce, avec les bons marqueurs de relation placés au bon endroit, et tout le reste.
Quand on y pense, est-ce la meilleure solution ? Ces élèves sauront peut-être réussir les épreuves ministérielles, mais sauront-ils inciter à agir en français au Cégep ou dans leur milieu de travail ? Les tables rondes les prépareront-elles à échanger avec un client dans leur emploi d’été ? Comment trouver un équilibre entre la nécessaire préparation à l’examen et le fondement de base du cours de français… celui de pouvoir utiliser la langue française dans toutes les sphères de la « vie scolaire, personnelle, sociale et professionnelle » ? (PFÉQ, p.7)
Cette année, sans les examens ministériels, nous avons l’occasion d’explorer d’autres formes de planification et d’évaluation. Matt Russell, un enseignant d’univers social à la commission scolaire Western Québec traite justement de ce sujet dans son récent article « A Framework for Performance Assessment ».
Dans leur article « The Curse of Helicopter Teaching », Penny Kittle et Kelly Gallagher exposent la problématique de l’enseignant.e hélicoptère. Voici deux thématiques inspirées de leur article, ainsi que quelques idées pour pousser la réflexion plus loin dans le contexte du français, langue seconde au secondaire.
Tout cuit dans le bec
Tant de choses sont importantes pour la production d’un bon texte que nous nous croyons obligés de fournir des structures pour presque toutes les éventualités : formules clé en main pour choisir les bonnes séquences textuelles, la bonne construction de phrase, l’emplacement optimal du choix des marqueurs de relation. Cela, toujours dans le contexte encadré et rassurant de la salle de classe. Or, la vie ne respecte pas une structure fixe.
Ce qui compte, c’est d’outiller l’élève pour qu’il puisse utiliser la langue efficacement par lui-même et d’éviter de le limiter à des choix restreints en voulant lui rendre la tâche plus facile. Il viendra un moment où le jeune devra s’arranger tout seul. Vous ne serez pas à ses côtés quand Shawna voudra choisir les bons mots pour charmer Julien dans un bar sur Crescent ou quand Trevor voudra convaincre ses futurs clients francophones de faire appel aux services de sa jeune pousse !
Ensuite, il nous arrive souvent de donner une rétroaction détaillée sur chaque faute grammaticale, syntaxique ou d’orthographe d’usage. Arrêtons-nous un moment pour imaginer comment nos élèves reçoivent toutes ces informations : on serait étourdi à moins ! Par exemple, si l’on me lance vingt ballons en même temps, je n’arriverai pas à les attraper. Par contre, si l’on ne m’en lance qu’un seul, alors, je pourrai y arriver. Proposez donc à l’élève une rétroaction sur un seul point. Cela lui permettra de se faire une tête sur le sujet, d’ajuster le tir et de s’améliorer plus rapidement.
Comme pour la préparation d’une tâche, évitons d’imposer une structure trop rigide à l’élève. Faites-en à la place un moment de planification entre pairs. Cela deviendra un moment privilégié où, sous votre supervision, les élèves pourront coconstruire leur compréhension d’un bon texte, d’une bonne interaction ou d’une bonne production à partir, par exemple, de textes modèles.
Avez-vous déjà consulté la série “Comment faire”, qui propose des modèles de textes et des outils différenciés pour planifier en FLS ?
Développer l’autonomie et la prise de décision
Il faut le reconnaitre, en enseignement, nous sommes des maitres de la planification, mais nos élèves… pas tellement. Aussi, par empathie (et pour ne pas se taper la correction de 20 travaux en retard à 48 h de la remise des bulletins !), on propose des échéances détaillées à nos petits cocos. La preuve par l’exemple : j’ai déjà donné à mes élèves des échéances minute par minute (!!!) pour chacune des étapes d’une tâche qu’ils devaient accomplir en classe. Conséquence : mes élèves étaient hyper stressés… et moi aussi. Pourtant, j’étais intimement convaincu que c’était pour leur bien !
Pourquoi ne pas créer les jalons d’un projet et un calendrier d’échéances en groupe classe ? L’idée ici est d’amener vos élèves à réfléchir, avec votre appui, à bien comprendre les étapes à franchir pour bien réussir une tâche et à en estimer leur durée. Le rapport des adolescents au temps est pour le moins élastique. Il ne s’agit pas pour autant de jeter l’éponge et de laisser nos élèves s’organiser sans direction, mais bien de les accompagner pour leur montrer le pouvoir et la grande responsabilité du choix. Ce seront ces mêmes ados qui auront la charge de structurer des horaires d’activité dans les camps de jours ou d’être responsables de la répartition des tâches au service de restauration rapide de leur quartier.
Certes, c’est parce qu’on veut leur bien, parce qu’on veut tellement qu’ils réussissent, que nous prenons un temps fou pour planifier la réalisation des projets de nos élèves et que nous créons toute une liste d’outils bienveillants pour structurer leur texte, pour éviter qu’ils fassent des erreurs. Et si, désormais, on prenait ce même temps pour leur montrer comment se structurer et planifier par eux-mêmes. Alors, non seulement auraient-ils tous les outils pour réussir leurs épreuves ministérielles, mais aussi, et surtout, ceux pour réussir, en français, dans leur vie adulte.
Connaissez-vous les organisateurs graphiques de LEARN ? Ce sont des outils d’enseignement et d’apprentissage précieux permettant aux enseignants et aux élèves de mettre de l’ordre dans leurs pensées, de mettre en réseau différents concepts, connaissances, objets et questions pour cerner une thématique.
« Notre travail n’est pas de préparer la route pour l’enfant, c’est de préparer l’enfant pour la route. »
Traduction libre de Greg Lukianoff et Jonathan Haidt
Pour aller plus loin dans votre réflexion sur l’évaluation, voici un article du Centre de transfert pour la réussite éducative du Québec (CTREQ), 27 janvier 2021.
Références
Kittle, P & Gallagher, K. (2020, mars). The Curse of ‘Helicopter Teaching’. ASCD (Vol. 77, no. 6). http://www.ascd.org/publications/educational-leadership/mar20/vol77/num06/The-Curse-of-%C2%A3Helicopter-Teaching%C2%A3.aspx.
Gerhard, G. (2018, avril 25). Bird-nest-feed-nature-animal. Pixabay. https://pixabay.com/photos/bird-nest-feed-nature-animal-3350136/.
Ministère de l’éducation. Programme de formation de l’école québécoise: Français, langue seconde (programme de base). http://www.education.gouv.qc.ca/fileadmin/site_web/documents/education/jeunes/pfeq/PFEQ_francais-langue-seconde-base-deuxieme-cycle-secondaire.pdf.
PIRO4D. (2017, octobre 04). Technology-toys-helicopter-kit. Pixabay. https://pixabay.com/photos/technology-toys-helicopter-kit-2816614/.
Staudenmaier, B. (2020, juillet 07). Feet-boy-child-young-little-kid. Pixabay. https://pixabay.com/photos/feet-boy-child-young-little-kid-5378031/.
OUI, tellement ce billet! Deux points ressortent pour moi: être stratégique dans sa rétroaction et fournir des opportunités pour les élèves de développer leur capacités d’auto-gestion.
Ma fille a su améliorer sa compétence de produire des textes car en conférence avec son enseignant nous avons décidé de faire point de mire sur deux aspects (entrelacés) seulement: écrire plus de mots et utiliser plus de mots descriptifs. Pour elle c’était clair et très concret. Maintenant, elle peut passer à autre chose.
Pour l’auto-gestion, l’enseignant pourrait penser à offrir des périodes de travail autonome lors desquelles les élèves travaillent sur les choses qu’ils ont a remettre, mais sans leur dire sur quoi travailler. Une autre idée serait de demander aux élèves un plan de travail (avec un gabarit du type organisateurs graphiques Vision/Focus) qui inclut des jalons personnels, selon son emploi du temps. Au début, ce n’est pas évident, mais si c’est fait de façon régulière, les élèves finissent par apprendre – imagine!