Ça fait plusieurs années que je réfléchis à l’évaluation. Je cogitais, j’avais envie d’écrire à ce sujet qui demeure encore et toujours une bête incomprise dans le milieu scolaire. Et voilà que je décide de m’attaquer de plus près à cette bête afin de mieux la comprendre ! Cette année, je me lance donc dans une série d’articles dédiés à l’évaluation.
N’étant pas une spécialiste dans le domaine, j’ai donc pris le temps de m’informer sur le sujet. J’ai commencé par relire les documents ministériels, dont les Programmes de formation de l’école québécoise, la Politique d’évaluation des apprentissages et les Cadres d’évaluation des apprentissages, car, en tant qu’enseignante/évaluatrice qui doit porter un jugement professionnel sur les apprentissages de ses élèves, c’est quand même bien sur ces documents que je dois m’appuyer ! Ensuite, je suis allée du côté des expert·es en évaluation pour lire des documents de références dont L’Évaluation des apprentissages de Micheline-Joanne Durand et de Roch Chouinard et Évaluer les apprentissages de Sylvie Fontaine, Lorraine Savoie-Zajc et Alain Cadieux. J’ai également communiqué avec des gens sur le terrain, c’est-à-dire des conseiller·ères pédagogiques et des enseignant·es pour avoir un portrait de ce qui se passe en évaluation dans le milieu scolaire anglophone québécois.
Par ailleurs, lorsqu’on parle d’évaluation, on peut vraiment s’y perdre! Je crois donc qu’il est important de cerner l’évaluation, de la définir et d’utiliser le même vocabulaire afin d’assurer une compréhension commune. Afin de bien saisir la conception de l’évaluation dans notre système éducatif, il faut s’expliquer son évolution. « Un bref retour sur l’hisoire des derniers curriculums scolaires au Québec permet en effet de constater des modifications au niveau du discours sur l’évaluation des apprentissages au fil des renouvellements du curriculum scolaire formel » (Morrissette, 2002). C’est pour ces raisons que mon premier article s’intitule Évaluation 101.
À noter. L’évaluation est intimement liée aux programmes. Ceux-ci sont eux-mêmes influencés par les avis, les rapports, les études, les politiques en éducation qui le sont à leur tour par les grands courants pédagogiques émanant de la recherche. Bref, il faut considérer la notion d’évaluation dans son ensemble comme le démontre la figure 1. Il faut également être conscient des effets des documents ministériels prescriptifs sur les avis, rapports, études et politiques.
L’ÉVOLUTION DE L’ÉVALUATION AU QUÉBEC
Je vous présente maintenant mon illustration de l’évolution de l’évaluation au Québec (figure 2). Je l’ai scindée en trois grands courants : l’évaluation des connaissances, l’évaluation de l’atteinte des objectifs et l’évaluation des compétences.
La première période de 1760 à 1979 : Approche axée sur les connaissances avec les programmes d’examens (1881), les programmes-catologues (1905) et les programmes-cadres (1970). Avant 1970, l’évaluation consiste à faire passer des tests avec, en autres, des questions à choix multiples pour vérifier l’acquisition de connaissances. À partir de 1970, à la suite du rapport Parent et s’inspirant du courant humaniste, les programmes-cadres font leur apparition. L’évaluation est faite à l’aide d’instruments créés par les enseignant·es. Durant cette période, l’évaluation était généralement associée aux décisions administratives (sélection, promotion ou doublement) et à la certification.
« L’évaluation des apprentissages est alors très centrée sur la mesure ; la consignation des informations recueillies sur les élèves, qui relève d’une logique comptable. » (Morrissette, 2002)
La deuxième période de 1980 à 1996 : Approche par objectifs avec les programmes-habiletés. Après le Livre vert (1977) et une vaste consultation, la publication du Livre orange (1979) redéfinit l’éducation scolaire. C’est le début des programmes-habiletés axés sur la standardisation des objectifs (généraux, intermédiaires et terminaux) d’enseignement. En 1981, le ministère de l’Éducation (MEQ) fait paraitre la Politique générale d’évaluation pédagogique. C’est le point de départ d’une évolution considérable des pratiques évaluatives : l’évaluation formative, l’évaluation sommative et l’interprétation critérielle font leur apparition dans le discours officiel ainsi que le bulletin descriptif au primaire.
Dans les années 80 et 90, l’évaluation formative porte sur l’atteinte des objectifs après chaque unité d’enseignement. Elle permet « de déceler où et en quoi l’élève éprouve des difficultés afin de lui suggérer ou de lui faire découvrir des moyens de progresser » (MEQ, 1981 cité dans Morrissette, 2002). Elle informe donc l’élève sur l’atteinte ou non des objectifs et fournit des informations à l’enseignant·e pour ajuster son enseignement. Par contre, l’évaluation formative est souvent confondue avec l’évaluation sommative pour « devenir synonyme d’évaluations micro-sommatives continues » (Legendre, 2001).
Quant à elle, l’évaluation dite sommative « vise la sanction des apprentissages au terme d’une étape ou d’une année » (Fontaine, Savoie-Zajc et Cadieux, 2020). Elle sert à informer l’élève et l’enseignant·e de la maîtrise d’un ensemble d’objectifs et elle sert à prendre des décisions pédagogiques et administratives (passage à une classe supérieure, sanction des études et reconnaissance des acquis). Même si les évaluations formatives et sommatives relèvent exclusivement de la responsabilité de l’enseignant·e et qu’elles sont extrinsèques à l’élève qui se voit relégué à un rôle passif, l’évaluation fait maintenant partie des processus d’enseignement et d’apprentissage.
« En fait, l’évaluation formative est au service de l’élève et l’évaluation sommative répond au besoin de l’administration scolaire, responsable des décisions et de la sanction des études. » (Le Quellec, 1994 cité dans Fontaine, Savoie-Zajc et Cadieux, 2020)
La période actuelle de 1997 à nos jours : Approche par compétences avec les programmes de formation (2001, 2006, 2207, 2021). Le rapport Corbo, Préparer les jeunes au 21e siècle (1994), la Commission des États généraux de l’éducation (1995-1996), le rapport du groupe Inchauspé, Réaffirmer l’école (1997) et L’école, tout un programme. Énoncé politique et plan d’action (1977) orientent le changement du curriculum de 2001. Découlant de ces travaux émanent les Programmes de formation de l’école québécoise (PFÉQ) qui s’articulent autour d’une approche par compétences où l’apprentissage est centré sur des savoir-agir.
Avant de continuer l’exploration de l’évaluation dans les programmes actuels, je vous invite à retourner voir la figure 2 soit mon illustration de l’évolution de l’évaluation au Québec et à réfléchir aux questions qui suivent.
Réflexion
Dans quelle période vous situiez-vous en tant qu’élève du primaire et du secondaire ?
Comment votre expérience d’élève/évalué·e influence-t-elle votre rôle d’enseigant·e/évaluateur·trice ?
L’ÉVALUATION DANS UNE APPROCHE PAR COMPÉTENCES
Les réflexions amorcées au 20e siècle ont mené à la réforme du système éducatif dont la refonte du curriculum. S’inspirant des théories du constructivisme, du socioconstructivisme et du cognitivisme, le MEQ préconise alors une approche par compétences et non plus une approche par objectifs. Pour soutenir cette approche, des programmes de formation et des documents complémentaires (Progression des apprentissages) sont déployés sur plusieurs années dans le milieu scolaire comme le démontre ma ligne du temps ci-dessous (figure 3).
Les objets d’apprentissage de ces programmes sont des compétences à développer, c’est-à-dire des « savoir-agir fondés sur la mobilisation et l’utilisation efficaces d’un ensemble de ressources » (MEQ, 2006). Les ressources sont définies, dans la Politique d’évaluation (2003), comme étant des connaissances, des habiletés, des stratégies, des techniques, des attitudes et des perceptions. La réforme apporte donc un changement dans la conception de l’apprentissage : on passe du paradigme de l’enseignement à celui de l’apprentissage. Regardons cela de plus près.
Conception de l’apprentissage
Dans le paradigme de l’enseignement, l’apprentissage est considéré comme une accumulation de connaissances. Connaissances qui seront ensuite évaluées par l’enseignant·e. Dans cette optique, l’enseignant·e est responsable de l’apprentissage de ses élèves : l’apprentissage ne peut arriver sans enseignement et si l’évaluation doit se faire sur les apprentissages, elle doit donc se faire sur ce qui a été enseigné. Je me permets de résumer en disant : j’enseigne, ils apprennent et je les évalue.
Quant au paradigme de l’apprentissage, celui-ci est envisagé comme étant la « capacité de l’élève à transformer les savoirs en connaissances viables et transférables » (Lusignan, 2014). On parle ici de compétences. L’élève étant responsable de son apprentissage, l’enseignant·e doit alors soutenir l’élève dans sa démarche d’apprentissage et orienter ses interventions pédagogiques. Il faut alors « penser différemment les relations entre apprentissage, enseignement et évaluation en les envisageant, non comme des entités indépendantes, mais dans leur interrelation dynamique au sein de la démarche pédagogique de l’enseignant. » (Legendre, 2001)
Conception de l’évaluation
Ce changement de paradigme amène donc à considérer l’évaluation comme partie intégrante du processus d’apprentissage de l’élève. Dans ses programmes axés sur le développement de compétences, le MEQ réaffirme également l’importance de faire de l’évaluation un levier pour l’apprentissage, une évaluation au service de l’apprentissage. L’évaluation est alors un moyen pour aider l’élève à apprendre et pour guider l’enseignant·e dans sa démarche.
« L’évaluation ne constitue pas une fin en soi. L’élève n’apprend pas pour être évalué ; il est évalué pour mieux apprendre. » (MEQ, 2007)
C’est dans cette lignée que le MEQ, en 2003, renouvelle sa politique en matière d’évaluation qui remontait à 1981. C’est ainsi que la Politique d’évaluation des apprentissages : Être évalué pour mieux apprendre voit le jour. De plus, pour encadrer et soutenir l’évaluation des apprentissages, le MEQ publie également différents documents officiels (figure 6) : des cadres de référence (2002, 2005, 2011), des échelles des niveaux de compétences (2002, 2206, 2009) et un bulletin national (2011).
Dans sa Politique d’évaluation des apprentissages, le MEQ définit l’évaluation comme étant un « […] processus qui consiste à porter un jugement sur les apprentissages, à partir de données recueillies, analysées et interprétées, en vue de décisions pédagogiques et administratives » (MEQ, 2003).
Évaluer implique donc la mise en oeuvre d’une procédure où l’enseignant·e porte un jugement professionnel sur le développement des compétences des élèves. Autrement dit, quelle est la capacité de mon élève « à choisir, à mobiliser, à organiser et à utiliser efficacement un « ensemble de savoirs, de savoir-faire, de savoir-être dans des situations complexes » (Fontaine, Savoie-Zajc et Cadieux, 2020).
« L’évaluation ne peut porter sur la compétence elle-même, mais sur les manifestations de cette dernière. D’ailleurs, on ne peut pas dire que l’on enseigne une compétence : on enseigne des stratégies, des connaissances, des savoirs et des savoir-faire qui permettent de développer une ou plusieurs compétences. » (MEQ, 2003)
Au début du 21e siècle, étiez-vous élève au primaire, au secondaire, étudiant·e au au cégep, à l’université, enseignant·e, conseiller.ère pédagogique ?
Comment votre expérience personnelle en lien avec la réforme de l’éducation influence-t-elle votre conception de l’enseignement, de l’apprentissage et de l’évaluation ?
En retraçant l’évolution de l’évaluation au Québec, j’ai voulu avoir une vue d’ensemble de tous les éléments qui ont façonné le concept de l’évaluation tel que nous le concevons aujourd’hui. J’ai également voulu vous inviter à réfléchir à votre propre histoire d’élève et d’enseignant·e, qui qu’on le veuille ou non, teinte votre vision de l’enseignement, de l’apprentissage et de l’évaluation. La table est maintenant mise pour s’attaquer à pourquoi évaluer ? et au comment évaluer ? de mon prochain article. Restez à l’affût !
Je tiens à remercier personnellement Mme Hélène Henri, spécialiste en évaluation des apprentissages, pour ses commentaires constructifs et ses suggestions judicieuses lors des relectures de mon article.
Références bibliographiques
Durand,M.-J. et Chouinard, R. (2012). L’évaluation des apprentissages: De la planification de la démarche à la communication des résultats. Édition revue et augmentée. Montréal: Marcel Didier.
Fontaine, S., Savoie-Zajc, L. et Cadieux, A. (2020). Évaluer les apprentissages. Démarche et outils d’évaluation pour le primaire et le secondaire. Montréal: Éditions CEC.
Legendre, M.-F. (2001). Favoriser l’émergence de changements en matière d’évaluation des apprentissages [Version électronique]. Vie pédagogique, 14-19.
Lusignan, M.- J. (2014). Paradigmes de l’apprentissage et de l’enseignement selon Jacques Tardif. Cégep de Granby. Repéré à https://pedagocghy.profweb.ca/wp-content/uploads/2012/08/Paradigmes_Jacques_Tardif_Aout14.pdf
Mebarki, Farida (2011). L’évolution des pratiques évaluatives dans les programmes du primaire au Québec depuis 1960. Essai. Gatineau: Université du Québec en Outaouais. Département des sciences de l’éducation. Repéré à https://di.uqo.ca/id/eprint/487
Morrissette, J. (2002). Évolution de la conception de l’évaluation formative des apprentissages à travers le discours ministériel québécois depuis 1981. (Rapport). Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue. Repéré dans Depositum à https://depositum.uqat.ca/id/eprint/309
Ministère de l’Éducation du Québec. (2003). Politique d’évaluation des apprentissages. Québec: Gouvernement du Québec.
Ministère de l’Éducation du Québec. (2006). Programme de formation de l’école québécoise. Enseignement secondaire, premier cycle. Québec: Gouvernement du Québec.
Raby, C. et Viola, S. (2020). Modèles d’enseignement et théories d’apprentissage pour diversifier son enseignement, 2e édition. Montréal: Éditions CEC.