Collaboration spéciale de Nicole Brunet, enseignante et formatrice en didactique de la grammaire.

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Lors du congrès de l’AQEFLS en avril dernier, j’ai assisté à l’atelier Exit le Béscherelle ou conjuguer n’est pas un art. J’ai été enthousiasmée et stimulée par cette présentation et par l’animatrice ! Je lui ai donc demandé de partager son expérience et ses connaissances sur la façon d’enseigner la conjugaison en écrivant un billet. Une suite sera publiée en juin. Bonne lecture !


Le dernier retranchement de la grammaire traditionnelle

Depuis déjà quelques années, dans mon enseignement des notions grammaticales, je privilégie l’approche didactique associée à la grammaire désormais qualifiée de rénovée (elle n’est plus nouvelle après tout). Je propose donc le plus souvent possible à mes élèves de participer activement à la compréhension des différents phénomènes syntaxiques et morphologiques présents dans l’unité de base qu’est la phrase. En gros, ces jeunes immigrants fraichement arrivés observent, formulent des hypothèses et dégagent des règles générales de leurs observations. Forme variable des noms, type d’expansion dans le groupe nominal, type de phrase, tout s’observe, tout conduit à dégager des régularités.

Tout ? Un aspect résistait encore et toujours à la démarche inductive; la conjugaison, cauchemar des apprenants de français langue seconde. Une part importante de mon enseignement de la morphologie verbale consistait donc à initier les élèves à l’art de consulter les tableaux de conjugaison et à y reconnaitre ou à y sélectionner la forme appropriée. Le vendredi, il y avait le test de verbe, exercice parfois douloureux de mémorisation souvent éphémère des formes les plus usuelles.

Pourtant, il y avait déjà dans ma pratique les germes de ce qui allait transformer ma pédagogie; la reconnaissance de terminaisons verbales associées à des temps de verbes comme l’imparfait ou le futur simple de l’indicatif. Tout était si simple pour ce groupe de verbes, le premier, le plus nombreux. Mais tout se compliquait avec les autres, les –issant et ceux dont je disais qu’ils étaient irréguliers, faute d’un autre qualificatif qui les auraient décrits tous. Pas étonnant que pour beaucoup d’élèves, la conjugaison apparaisse comme le lieu ultime où se retrouvent ce qui, selon plusieurs, caractérise le français, les exceptions !

Un nouveau regard sur la morphologie verbale

Je vous fais part aujourd’hui d’un changement majeur dans la manière dont j’enseigne la conjugaison, un périple amorcé à l’automne 2012 au moment où je suis retournée en classe après quatre ans au Ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport du Québec. J’avais alors décidé de transposer ce que j’y avais appris dans ma pratique à l’école secondaire Louis-Riel de la Commission scolaire de Montréal, en classe de francisation (classe d’accueil). Je l’avoue, les débuts furent ardus, pour moi! Rompre avec la façon dont on enseigne une notion depuis des années, une façon qui est celle avec laquelle on l’a apprise demande des efforts. Il faut du temps pour adopter un angle différent face à une réalité qui reste la même, pour se mettre en bouche un métalangage nouveau et des consignes nouvelles. Les élèves, eux, ont adoré.

J’ai quand même pu faire un lien avec une habitude bien établie dans ma classe, celle de rechercher dans les mots la présence de la plus petite unité porteuse de sens, le morphème. Cet élément lexical ou grammatical, formé d’une ou de quelques lettres, est omniprésent en français. Dans le processus de dérivation, on appelle le morphème lexical préfixe ou suffixe. Le morphème grammatical (aussi appelé morphème flexionnel) est un des premiers éléments de grammaire vu en classe puisqu’il marque le genre et le nombre (ex. : ma, verte, mes, verts).

Radical et terminaison, le verbe en deux parties distinctes

La conjugaison, qui regroupe toutes les formes que prend un verbe, possède un ensemble de morphèmes grammaticaux qui lui sont propres et qui sont joints à une base lexicale appelée radical. Ce morphème marque le temps, le mode et la personne grammaticale et on l’appelle terminaison. Les terminaisons associées à certains temps de verbe, comme celles de l’imparfait de l’indicatif (-ais, -ais, -ait, -ions, -iez, -aient) peuvent être mémorisées en bloc et se joignent au radical de tous les verbes. Tous. Mais pour que les terminaisons soient vraiment universelles, j’ai dû revoir ma compréhension du radical.

On définit ainsi le radical dans les ouvrages de référence; partie lexicale du verbe, partie qui porte le sens du verbe ou partie du verbe qui ne change pas. Mes lectures m’ont amenée à reconsidérer la dernière affirmation. Bien qu’elle soit exacte pour plus de 90 % des verbes en français, essentiellement ceux dont la forme nominale, l’infinitif, se termine par le morphème –er, elle ne l’est pas dans le cas d’autres verbes. Par exemple, pour conjuguer le verbe lire à tous les temps, trois radicaux sont nécessaires; li-, lis- et l-, pour le verbe conduire, deux; condui- et conduis-. Et pour conjuguer le verbe finir ? Il faut apprendre 3 radicaux; fini-, finiss- et fin-. Vous avez remarqué que le iss fait partie du radical et non de la terminaison ?

En classe, dans un court texte écrit à la première personne du singulier, j’ai donc demandé aux élèves de distinguer la terminaison universelle de l’imparfait de l’indicatif du radical du verbe en la surlignant. Voici quelques verbes; avais, finissais, lisais, conduisais, faisais, allais, prenais, savais, attendais. Il y avait une régularité observable chez tous les verbes, leur terminaison, à condition d’identifier le radical de façon appropriée.

Depuis, c’est tous les temps de verbes que j’aborde de cette façon. Même et surtout le présent de l’indicatif, premier temps à l’étude. Il sert en quelque sorte de laboratoire où s’observent les régularités, les particularités, le radical unique ou multiple, et deux séries de terminaisons. D’ailleurs, regardez plus haut le radical utilisé pour former l’imparfait (av-, finiss-, lis-, conduis-, fais-, all-, pren-, sav-, attend-) vous remarquerez qu’il est également utilisé pour former le présent de l’indicatif.

À suivre !


L’auteure du billet

Née à Montréal, Nicole Brunet a étudié l’enseignement du français langue seconde à l’université McGill. Elle a œuvré dans divers milieux d’enseignement dont le secteur jeune de la Commission scolaire de Montréal où elle travaille présentement. Elle a participé à l’élaboration d’outils pédagogiques tels que des Situations d’Apprentissage et d’Évaluation ainsi que la Progression des apprentissages et les Paliers pour l’évaluation du français du programme Intégration linguistique, scolaire et sociale au Ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport du Québec. Elle propose depuis quelques années des formations sur la didactique des différents aspects de la grammaire rénovée, dont la conjugaison.

Vous pouvez lui écrire à l’adresse courriel suivante : nicolebrunet.gramm@gmail.com