Collaboration spéciale d’Isabelle Alarie, enseignante en français, langue seconde à l’école secondaire St-Thomas, LBPSB
Passionnée par la culture populaire et fière membre de la Génération X, Isabelle a grandi profondément submergée dans un monde propulsé par les BD, les dessins animés du samedi matin, les héros de films comme Star Wars et Indiana Jones, ainsi que les émissions cultes comme Star Trek. Le summum de sa passion a été atteint lorsqu’elle s’est jointe à l’équipe des Comiccons de Québec, Montréal et Ottawa en tant que coordonnatrice des laissez-passer spéciaux. C’était l’équivalent de devenir un employé du Louvre lorsqu’on est avide d’œuvres d’art.
Nom : Isabelle « Madame la Prof » Alarie
Habiletés : Enseignement des langues secondes, gestion de groupe, manipulation de piles de papier à corriger, costumade
Alias : Employée des Comiccons de Montréal, Ottawa et Québec
Âge : Plus jeune que Professeur Charles Xavier, plus vieille que la Sorcière Écarlate
Expérience : Enseignante depuis 1998
Particularités (quirks) : Peut distraire un droïde avec sa voix.
C’est quoi au juste un Comiccon ?
Pour ceux qui recherchent une définition simple de ce qu’est un Comiccon, c’est un congrès d’amateurs de culture populaire. Or, résumer un événement de l’envergure d’un Comiccon à un celui d’un congrès serait l’équivalent de comparer le Cirque du Soleil à une performance d’acrobates déguisés. Il existe une complexité à l’événement que les médias ne parviennent pas à présenter lors de leur reportage de 3 minutes.
À l’origine, un Comiccon était tout simplement un congrès de collectionneurs de bandes dessinées (BD). Avec le temps, le rassemblement annuel a explosé en conférence où l’on peut rencontrer des auteurs, des dessinateurs, des vendeurs, des costumadiers et des célébrités provenant de toutes les sphères de la culture populaire, de la littérature et des arts.
De plus, ce que le non-initié ne sait pas, c’est qu’on peut aussi participer à des ateliers et des mini-conférences dans lesquels on peut se renseigner davantage sur un sujet particulier, obtenir des conseils pour un projet spécifique, ou tout simplement partager notre engouement pour un sujet qui nous passionne.
Ce n’est plus un événement pour des geeks marginalisés, car être geek de nos jours, c’est fièrement afficher ce qui nous passionne!
Un projet de Comiccon à l’école
Lorsque j’ai eu l’idée d’organiser un Comiccon avec mes élèves, c’était en 2015 et ce n’était pas avec mes élèves de français, langue seconde (FLS). J’avais un groupe d’élèves de Leadership de 5e secondaire qui se tournait les pouces. Ces élèves manquaient d’initiative et avaient besoin d’un projet quelconque pour les tenir occupés. Puisque j’avais déjà 2 années d’expérience en tant que coordonnatrice du Comiccon, j’ai eu l’idée d’organiser des mini-ateliers que mes élèves animeraient pour les groupes du 1er cycle du secondaire.
Bien qu’il ait fallu imposer des sujets à certaines équipes plus rébarbatives, le projet a connu un succès modeste. Une équipe a présenté un jeu vidéo « DIY » dont les seuls matériaux requis étaient une tablette numérique, un crayon et des feuilles quadrillées. Mes élèves ont adoré l’expérience de travailler avec des élèves plus jeunes, voyant l’activité un peu comme du mentorat ludique.
L’année suivante, j’ai poussé l’idée plus loin. Inspirée par ma collègue qui organisait des projets « Heure du Génie / Genius Hour » avec ses élèves en FLS, j’ai présenté l’idée d’un Comiccon en français aux miens. Très sceptiques, ils étaient peu ouverts au projet car, pour eux, un Comiccon « c’était juste des jeux vidéos, des mangas et des gens en costume ». Une fille était opposée à l’idée jusqu’à ce que je lui dise: « Écoutes-tu des films de Disney? C’est qui ta princesse de Disney préférée? Et si je te disais que tu pouvais faire une présentation sur toutes les princesses de Disney et les comparer avec les “vraies” princesses en littérature? ». Elle avait mordue à l’hameçon. Elle était accrochée, de même que tous les élèves de mon groupe de FLS de 5e secondaire.
Ce qu’il faut comprendre du projet Comiccon à l’école, ce n’est pas les jeux vidéo, ni les BD, ni la costumade; c’est le pouvoir que les élèves ont à choisir ce qu’ils veulent étudier et présenter. Quand on accorde aux élèves cette agentivité et qu’ils ont le contrôle sur le contenu de ce qu’ils apprennent en classe, comme des superhéros qui viennent de découvrir leur pouvoir, ils sont motivés et engagés dans leur apprentissage du FLS.
Un apprentissage authentique
J’enseigne le français depuis plus de vingt ans. J’étonne probablement peu de personnes quand je dis que plusieurs élèves sont déconnectés de ce qui est présenté dans les cahiers d’exercices. Quand le contenu n’est pas signifiant, l’apprentissage ne l’est pas non plus.
Demandez à un élève de conjuguer des verbes ? Silence. Demandez au même élève de vous parler de sa série animée préférée et vous aurez de la difficulté à le faire taire.
Et l’on n’a pas besoin d’études d’experts pour constater que nos jeunes sont distraits par l’omniprésence de la technologie numérique (ah, le téléphone intelligent, le Grand Méchant Loup du 21e siècle !). Alors que certains pourraient considérer cette source de distraction comme un obstacle à l’enseignement et à l’apprentissage, pourrait-on ne pas mettre à profit ce que cette technologie offre aux élèves (jeux, films, BD, animé, etc.) et s’en servir pour les motiver ?
Un élève se sent motivé lorsqu’il se sent compétent pour réussir la tâche à accomplir (Viau, 2009) se sent capable de faire ce qui est demandé et a l’impression de contrôler ce qu’il apprend.
Lorsqu’il s’agit de la culture populaire (et tous ses genres sous-jacents), elle a souvent été laissée de côté sous prétexte d’une absence de contenu de valeur (Marsh et Millard, 2009). Il était une fois, on croyait que la maîtrise d’une langue passait par la mémorisation et la répétition d’un contenu « classique et traditionnel ». Or, aujourd’hui, de plus en plus d’études démontrent que la culture populaire permet la création de contenu plus signifiant pour les apprenants (Adams, 2011). Même des jeux comme Minecraft ont été employés pour créer des environnements propices à l’apprentissage des langues (Baek et Park, 2019).
Par ailleurs, l’idée d’organiser des ateliers ou des groupes de discussion entre les pairs n’est pas nouvelle. En effet, jouer le rôle d’expert ou de modèle a été utilisé comme une stratégie d’enseignement auprès d’élèves « à risque » dans plusieurs pays (Wehman et al., 2011).
Dans le contexte d’un Comiccon à l’école, les élèves du 2e cycle du secondaire sont placés en situation d’interaction avec des élèves plus jeunes. Les élèves experts présentent leur sujet choisi et partagent leur passion à un auditoire réel et tangible. Les échanges permettent une rétroaction immédiate, ce qui permet aux présentateurs d’ajuster leur discours et leur contenu.
Par exemple, il y avait un élève qui avait créé un jeu de société à partir de rien. Son plan était d’expliquer le jeu et ses règles en premier, et par la suite faire jouer une partie aux autres élèves. À la fin de sa première session, il a rapidement réalisé qu’il n’avait pas assez de temps. Il a dû modifier toute sa présentation pour que les élèves jouent pendant qu’il expliquait les règles. Et ce jeune n’était pas le plus efficace en français. Il a dû réfléchir rapidement et c’est le genre d’apprentissage que l’on ne planifie pas, il se fait tout seul. Le résultat ? Deux groupes d’élèves qui vivent un apprentissage authentique : les élèves experts qui présentent et les autres qui écoutent la présentation (Bhandari, 2020).
Un projet à plusieurs visages
Dans un véritable Comiccon, des conférenciers sont invités à présenter sur des sujets divers. Vous voulez en savoir plus sur les effets spéciaux dans les films Star Wars ? Il y a une présentation sur ça ! Apprendre à créer une armure avec de la mousse éthylène ? La présentation débute à 14 h ! Découvrir la complexité de l’univers narratif d’une série de science-fiction ? Le conférencier a complété son doctorat sur le sujet.
Bien que nos élèves ne soient pas des professionnels ou des spécialistes, ils en connaissent beaucoup sur ce qui les passionne et sont souvent prêts à partager leur bagage de connaissances avec les autres. Même un élève qui prétend « ne pas aimer le Comiccon » peut s’y retrouver. Un joueur de jeux vidéo peut faire une comparaison des meilleures consoles ou expliquer l’évolution des jeux vidéo, incluant le sien. Celui ou celle qui s’intéresse plus à la mode ou à la musique peut énumérer les films qui ont eu le plus grand impact sur la mode du 20e et 21e siècle. Un élève qui adore dessiner peut présenter son portfolio et parler de ses influences. Tout comme le multivers du Docteur Strange, les sujets sont illimités.
Le rôle de l’enseignant à redéfinir
Concrètement, le Comiccon intègre les trois compétences du programme de FLS : lire, produire et interagir. Il est possible de jumeler le projet avec une unité sur les activités ludiques ou les emplois inusités. Cependant, que fait l’enseignant tout au long de ce projet ? Faut-il devenir des experts en animation japonaise ? Ou des adeptes de Marvel et DC ? Aucunement.
Notre travail n’a rien à voir avec le contenu de leur projet. Il s’agit de devenir des guides pour que nos élèves puissent créer un projet captivant. À travers le Comiccon, nous amenons les élèves à développer les différentes compétences transversales et la compétence numérique : la collaboration, la recherche d’information, la gestion du temps, la résolution de problèmes, etc.
Certes, il faudra toujours enseigner le français, mais le contenu n’est plus fixe. Si un groupe d’élèves éprouve des difficultés avec un lexique répétitif, un autre pourrait faire face à un problème de cohérence textuelle. Et si plusieurs élèves se butent au même problème, il faudra tout simplement prendre une pause et travailler collectivement sur l’élément problématique… comme une équipe de superhéros. De plus, les possibilités de projet interdisciplinaire avec les autres matières sont illimitées, que ce soit en univers social, en art, en sciences et mathématiques, en anglais, etc.
Sortir de sa zone de confort
Imaginez la scène suivante : un élève qui parle très peu, refusant de participer verbalement en classe sous prétexte « de ne pas être bon en français ». Une situation typique pour plusieurs d’entre nous. Quand j’ai dit à cet élève qu’il pouvait faire son projet Comiccon sur ce qu’il voulait, il savait exactement ce qu’il allait présenter : les jeux de téléphones intelligents. Vous savez, ceux qu’on télécharge et qu’on joue sur notre téléphone pour passer le temps. Cet élève, qu’on soupçonnait souffrir de mutisme, m’a époustouflée avec une présentation de 15 minutes sur les différentes catégories de jeux et leur jouabilité, et ce, en français. Un français maladroit qui devait être retravaillé, certes, mais c’était ses mots, son discours, sa passion – tout en français.
Sortir de sa zone de confort fait peur, peu importe notre âge. Un jeune qui éprouve de la difficulté en FLS est souvent réticent à essayer quelque chose de nouveau, car l’inconnu n’est jamais agréable. Or, si l’on permet à l’élève de déterminer le contenu de son apprentissage, cet élève se sent beaucoup plus motivé et engagé dans son parcours scolaire. Le succès n’est pas uniquement la note qu’on obtient ; c’est développer un lien entre notre passion et la langue qu’on apprend; c’est faire face à l’inconnu sachant que nous contrôlons les paramètres; c’est créer un rapprochement entre soi et notre auditoire.
Ces connexions mènent d’ailleurs à des découvertes plus épanouissantes : un de mes élèves s’est rendu compte qu’il avait un talent d’animateur lorsqu’il a géré un groupe d’élèves qui jouaient à des jeux de société. Il savait comment interagir avec des jeunes, une habileté qu’il n’aurait jamais découverte en travaillant dans un cahier d’exercices. Ce même élève travaille maintenant dans une école primaire à titre d’aide en intégration.
En fin de compte, ces élèves, à qui on leur a souvent répété qu’ils étaient terribles en français et qu’ils ne réussiront jamais, ont eu l’opportunité de briller. Le projet n’est pas une baguette magique qui peut résoudre tous les problèmes qui peuvent exister dans un cours de français, langue seconde. Cependant, si l’on peut motiver les jeunes dans leur quête vers la maîtrise du français, pourquoi ne pas leur donner cette étincelle?
Repenser l’engagement des élèves
Certains diront que laisser les élèves contrôler ce qui se fait dans la classe frôle la folie. Que nos apprenants ne comprennent pas la progression des apprentissages, qu’ils voudront juste travailler du contenu « facile », que plusieurs éviteront de travailler, etc. Il s’avère qu’on aura ces problèmes, projet Comiccon ou non. Lorsque les élèves ont des paramètres clairs et lorsqu’ils ont la mainmise sur ce qu’ils étudient, la gestion se fait facilement, car les élèves deviennent des collaborateurs et participent au déroulement du cours. Que veulent-ils apprendre ? Où veulent-ils aller ? Comment vont-ils s’y rendre ? Leur expérience au sein du cours de FLS est transformée et ils ne perçoivent plus le cours comme un fardeau.
Reconnaître et valoriser notre côté geek n’est plus une mode passagère. C’est une partie de notre identité : on peut être un geek de la mode, des BD, des mathématiques, des romans de vampires… Si l’on peut mettre à profit cette « geekitude » pour bonifier les apprentissages de nos élèves, je dis oui ! Quête acceptée !
BIBLIOGRAPHIE
Adams, C. (2011). Lessons in pop: Does pop culture belong in the classroom?. Instructor, 121(3), 37-40.
Baek, J., & Park, H. (2019). Learning a language through gaming: A Minecraft game design for negotiation of meaning and co-construction of knowledge. International Conference Educational Technologies 2019.
Bhandari, L. P. (2020). Task-based language teaching: A current EFL approach. Advances in Language and Literary Studies, 11(1), 1-5.
Marsh, J. & Millard, E. (2000) Literacy and popular culture: Using children′s culture in the classroom. SAGE Publications Ltd.
Viau, R. (2009). La motivation à apprendre en milieu scolaire (Ser. L’école en mouvement). Éditions du renouveau pédagogique (ERPI).
Wehman, T., Savage, M., White, J., Lee, N., & Grimes, J. (2011). Making learning meaningful: International perspectives on teaching children considered to be “at-risk” for school failure. International Research and Review, 1(1), 20-38.