Dans mon dernier article Évaluation 101 — Partie A, j’ai retracé l’évolution du concept de l’évaluation au Québec afin de mieux comprendre ce que l’on entend par l’évaluation des apprentissages aujourd’hui. Le changement dans la conception de l’apprentissage de la réforme en éducation au Québec (passage du paradigme de l’enseignement à celui de l’apprentissage) amène à considérer l’évaluation comme une partie intégrante du processus d’apprentissage. L’évaluation est alors un moyen pour aider l’élève à apprendre et pour guider l’enseignant·e dans sa démarche.
QU’EST-CE QUE L’ÉVALUATION ?
Les spécialistes dans le domaine et le ministère de l’Éducation du Québec (MEQ) s’entendent pour dire que l’évaluation est un processus qui consiste à porter un jugement éclairé sur les apprentissages des élèves. Ce jugement repose sur des données (informations pertinentes, valides, fiables) qui sont analysées et interprétées afin de prendre les meilleures décisions (pédagogiques et administratives) dans l’intérêt de l’élève.
Cependant, lorsqu’on parle d’évaluation des apprentissages dans le milieu scolaire ou sur la place publique, c’est souvent et encore un synonyme de notes en pourcentage dans le bulletin. Et cela l’est d’autant plus depuis que le MEQ a imposé le retour aux notes avec le bulletin unique en 2010.
Or, le bulletin n’est en fait que la partie visible et publique de l’évaluation. C’est un outil de communication qui « a pour but d’informer les parents sur les apprentissages de leur enfant » (MEQ : 2011). Le bulletin est donc une infime partie d’un long processus (figure 1) qui consiste à porter un jugement sur les apprentissages, c’est-à-dire le développement des compétences et NON PAS le résultat d’un simple calcul mathématique d’une série d’évaluations formelles. Regardons ce processus et attardons-nous à l’étape de planification. À noter que le processus d’évaluation des apprentissages est itératif même s’il est constitué d’étapes et qu’il repose principalement sur le jugement professionnel de l’enseignant·e
Pour aller plus loin…
Évaluer pour que ça compte vraiment- La note, un symbole imparfait
LA PLANIFICATION DE L’ÉVALUATION DES APPRENTISSAGES
L’étape de planification des apprentissages est assurément la plus cruciale du processus, car c’est à ce moment que l’enseignant·e va établir l’intention de l’évaluation (le pourquoi évaluer). Et c’est à partir de cette intention que vont découler les décisions et les choix subséquents. En somme, « la planification est au cœur de la démarche d’évaluation » (Durand et Chouinard : 2012).
Par la suite, l’enseignant·e va déterminer la personne responsable de l’évaluation (le qui va évaluer) ainsi que l’objet de l’évaluation (le quoi évaluer) pour ensuite décider des méthodes pour s’y prendre (le comment évaluer) et des moments où sera réalisée l’évaluation des apprentissages (le quand évaluer) afin de « soutenir la prise d’information et son interprétation, le jugement et la décision » (MEQ : 2003). La figure 2 présente les grandes questions que l’enseignant·e doit se poser lors de l’étape de la planification de l’évaluation.
POURQUOI ÉVALUER ?
Selon la Politique de l’évaluation des apprentissages (MEQ : 2003), tout au long du parcours scolaire de l’élève, l’évaluation sert à :
• vérifier la progression de ses apprentissages dans une perspective d’aide;
• à faire des diagnostics précis;
• à vérifier le niveau de développement de ses compétences;
• à certifier ses études;
• à reconnaître ses acquis.
La Politique présente ensuite les deux grandes fonctions de l’évaluation (figure 3), soit la fonction d’aide à l’apprentissage et la fonction de reconnaissance des compétences qui agissent en complémentarité pour soutenir l’élève dans ses apprentissages et ainsi contribuer à sa réussite.
La fonction d’aide à l’apprentissage
La première fonction vise à soutenir l’apprentissage de l’élève tout au long de son parcours scolaire. Le but est d’aider et de guider l’élève dans sa démarche d’apprentissage. On parle alors d’une évaluation POUR l’apprentissage ou Assessment for Learning.
Cette fonction favorise une régulation des apprentissages par l’enseignant·e et par l’élève et une régulation des actions pédagogiques. Cette notion de régulation des apprentissages rejoint la vision de l’évaluation formative des années 80. Par contre, ici, l’évaluation n’est plus réalisée que par l’enseignant·e. L’élève prend part à l’évaluation et y détient un rôle actif.
En fait, lorsque l’élève régule son apprentissage (autorégulation), il s’approprie « le processus d’apprentissage, mais développe aussi une compétence métacognitive » (Durand et Chouinard : 2012). Le terme évaluation EN TANT QU’apprentissage* est utilisé pour désigner cette réalité dans d’autres provinces et territoires canadiens (Alberta, Colombie-Britannique, Manitoba, Territoires du Nord-Ouest, Nunavut, Saskatchewan et Yukon).
*Repenser l’évaluation en classe en fonction des buts visés.
La régulation de l’apprentissage faite par l’enseignant·e lui permet, d’une part, d’adapter son dispositif d’enseignement notamment par la différenciation pédagogique (régulation proactive) et, d’autre part, permet à l’élève de s’autoréguler (régulation interactive). De plus, cette régulation permet à l’enseignant·e d’orienter les actions à mettre en place pour aider l’élève à surmonter des difficultés ou à corriger ses erreurs (régulation interactive). Je vous invite à consulter la figure 4 pour en apprendre davantage sur les trois types de régulation qui sont faites par l’enseignant·e.
Pour aller plus loin…
Comment donner une rétroaction efficace aux élèves ?
Réflexion
Quel type de régulation de l’apprentissage faites-vous en classe ?
Une régulation proactive ? Interactive ? Rétroactive ?
Quant à la régulation des actions pédagogiques, elle amène l’enseignant·e à faire un retour réflexif sur les effets de son enseignement sur les apprentissages des élèves afin d’apporter des changements au besoin. Cette capacité réflexive est primordiale et fait partie du Référentiel de compétences professionnelles de la profession enseignante du MEQ, qui réitère que l’enseignant·e doit « adopter une posture réflexive vis-à-vis de son enseignement de manière à inscrire sa pratique dans une perspective d’amélioration continue » (MEQ : 2020).
La fonction de reconnaissance des compétences
La deuxième fonction vise la reconnaissance de la compétence à la fin d’une séquence d’apprentissage (un module, un cours, un cycle) ou à la fin d’une formation. On parle donc de l’évaluation DE l’apprentissage. Le but est de vérifier l’atteinte du niveau attendu du développement de la compétence. Par exemple, à partir des attentes du programme de français, langue seconde, je dois vérifier jusqu’à quel point mon élève est capable d’interagir à l’oral en français. Je dois donc comparer son niveau de développement de compétence avec le niveau attendu du programme en me basant sur les critères d’évaluation tirés des Cadres d’évaluation des apprentissages.
« L’enseignant doit plutôt prendre en compte un ensemble de traces d’évaluation telles que des notes d’observation de l’élève en activité, des projets réalisés par l’élève, des autoévaluations, etc., et en arriver à un jugement professionnel, concept au cœur de la démarche d’évaluation par compétences » (Fontaine, Savoie-Zajc et Cadieux : 2020). On est bien loin d’une évaluation représentée par le calcul d’évaluations formelles !
Réflexion
Dans votre pratique, quelle fonction de l’évaluation privilégiez-vous ?
L’évaluation de l’apprentissage ? L’évaluation pour l’apprentissage ?
Maintenant que l’intention d’évaluation est définie, l’enseignant·e doit se questionner sur le comment évaluer. D’abord, il faut savoir qui évaluera l’apprentissage et quel sera l’objet d’apprentissage.
QUI VA ÉVALUER ?
Traditionnellement, l’évaluation reposait principalement sur l’enseignant·e. Avec sa Politique d’évaluation des apprentissages (MEQ : 2003), le MEQ précise les acteurs impliqués dans le processus d’évaluation avec la 2e, la 5e et la 6e orientation (figure 5).
L’enseignant·e est toujours le principal responsable de l’évaluation de ses élèves. L’élève et ses pairs ont également un rôle actif lors des évaluations en cours d’apprentissage. De plus, les directions d’école, les professionnels et les parents collaborent également à l’évaluation, et ce, tout en respectant les rôles et les responsabilités légales de chacun.
Réflexion
Qui prend part à l’évaluation dans votre classe ?
Vous, ? Vos élèves ? Les professionnels ?
QUOI ÉVALUER ?
En se basant sur les documents officiels (Programme de formation de l’école québécoise, Progression des apprentissages, Politique d’évaluation des apprentissages, Cadres d’évaluation des apprentissages), l’enseignant·e doit déterminer les apprentissages qui seront évalués, c’est-à-dire les connaissances (savoirs, savoir-faire, savoir-être) ou les compétences.
À ce moment de la planification, la taxonomie de Bloom (1956) révisée par Anderson & Krathwohl (2001) peut être utile à l’enseignant·e. Cette taxonomie propose une progression des processus cognitifs allant du plus simple au plus complexe (mémoriser, comprendre, appliquer, analyser, évaluer, et créer). Elle peut donc aider l’enseignant·e à cibler et à décortiquer les apprentissages essentiels et à bien les formuler.
Lorsque des niveaux moins complexes sont ciblés, l’enseignant·e vise l’acquisition de connaissances chez ses élèves tandis que lorsque des niveaux plus complexes sont ciblés, l’enseignant·e favorise le développement de compétences (figure 6).
L’enseignant·e se posera alors la question suivante : qu’est-ce que je veux que mes élèves apprennent ? Pour l’aider à répondre à cette question, l’enseignant·e peut utiliser ce début de phrase :
« Au terme de cette séquence d’enseignement, j’aimerais que mes élèves soient capables de… »
et la compléter avec un des verbes d’action (figure 7) associés à chacun des six niveaux de la taxonomie. Cela permet à l’enseignant·e de situer son intervention selon le degré de complexité (connaissance ou compétence).
Réflexion
Qu’est-ce que vous évaluez dans votre classe ?
Des connaissances ? Des compétences ?
COMMENT ÉVALUER ?
À cette étape de la planification du processus d’évaluation, l’enseignant·e doit réfléchir aux moyens appropriés (le comment) pour évaluer les apprentissages ciblés (le quoi), et ce, en fonction de l’intention retenue (le pourquoi).
ATTENTION. L’enseignant·e doit s’assurer d’avoir une cohérence entre les apprentissages visés, les stratégies ou les activités pédagogiques réalisées pour les atteindre et les méthodes et stratégies d’évaluation qui seront mises en place pour en valider l’atteinte (figure 8). C’est ce qu’on appelle l’alignement pédagogique (Biggs: 1997, 2004) ou principe de cohérence. De plus, la cohérence, une des trois valeurs instrumentales présentées dans la Politique d’évaluation des apprentissages, permet d’assurer la validité de l’évaluation.
L’enseignant·e a le choix entre diverses méthodes ou stratégies d’évaluation pour faire la collecte de l’information quant aux connaissances acquises et aux compétences développées par l’élève. Et c’est à partir de ces données (traces ou preuves d’apprentissage) que l’enseignant·e peut alors « porter un jugement professionnel sur les apprentissages et le développement des compétences de l’élève » (TÉLUQ : 2020). Ces preuves d’apprentissage proviennent de trois sources : les observations, les productions et les conversations. Ce procédé se nomme la triangulation de données et permet à l’enseignant·e de « déceler la tendance générale tout en accordant une attention particulière aux preuves d’apprentissage les plus récentes » (CFORP : 2013).
Réflexion
Quel genre de preuves recueillez-vous en salle de classe ?
Des productions ? Des observations ? Des conversations ?
QUAND ÉVALUER ?
L’évaluation faisant partie intégrante du processus d’apprentissage, chaque moment est propice à recueillir les preuves d’apprentissage des élèves. Cependant, selon l’intention de l’évaluation (fonction d’aide à l’apprentissage ou fonction de reconnaissance des compétences), l’évaluation sera faite soit au début d’une séquence d’apprentissage pour vérifier où les élèves se situent par rapport aux apprentissages ciblés, soit en cours d’apprentissage pour soutenir la progression des élèves ou encore à la fin de l’apprentissage pour rendre compte du niveau de développement des compétences qui ont fait l’objet d’apprentissages durant la séquence (figure 3).
Réflexion
Quand évaluez-vous en classe ?
Au début d’une séquence d’apprentissage ? Pendant l’apprentissage ? À la fin d’un apprentissage ?
FAISONS LE POINT
L’étape de planification du processus d’évaluation permet à l’enseignant·e de se questionner et de réfléchir au pourquoi, qui, quoi, comment et quand évaluer (figure 9). Cette réflexion est essentielle afin d’assurer une évaluation de qualité pour que les élèves soient évalués de manière juste, équitable et rigoureuse.
Alors, êtes-vous prêt·es à réaliser la première grande étape du processus d’évaluation et à passer à l’autre ?
Références bibliographiques
Anderson, L.W., & Krathwohl, D.R. (Eds.) (2001). A taxonomy for Learning, teaching, and assessing: A revision of Bloom’s taxonomy of educational objectives. New York: Addison Wesley Longman.
APOP. L’alignement pédagogique. Repéré à https://www.apop.qc.ca/fr/lexique/alignement-pedagogique/
Biggs, J. (1996). Enhancing teaching through constructive alignment. High Educ 32, 347–364.
Bloom, B.S. et al. (1969). Taxonomie des objectifs pédagogiques, Tome 1 : Domaine cognitif. Québec: Presses de l’Université du Québec.
Centre de pédagogie universitaire. (2019). Guide de rédaction d’un plan de cours par compétences. Québec : Université de Montréal.
Conseil supérieur de l’éducation et Centre de transfert pour la réussite éducative du Québec (CTREQ). (2020). Évaluer pour que ça compte vraiment. Québec. Le Conseil.
Conseillers pédagogiques du SRÉ et du SIN du CSS Marie-Victorin. (2021). Mico-site sur l’évaluation des apprentissages. Québec: CSS Marie-Victorin.
Repéré à https://sites.google.com/csmv.qc.ca/evaluation/accueil
CTREQ. (2018). Utilisation des données au service de l’apprentissage. Québec: Centre de transfert pour la réussite éducative du Québec.
Durand,M.-J. et Chouinard, R. (2012). L’évaluation des apprentissages: De la planification de la démarche à la communication des résultats. Édition revue et augmentée. Montréal: Marcel Didier.
Fontaine, S., Savoie-Zajc, L. et Cadieux, A. (2020). Évaluer les apprentissages. Démarche et outils d’évaluation pour le primaire et le secondaire. Montréal: Éditions CEC.
Ministère de l’Éducation du Québec. (2003). Politique d’évaluation des apprentissages. Québec: Gouvernement du Québec.
Ministère de l’Éducation du Québec. (2012). Les choix de notre école à l’heure du bulletin unique – Document de soutien à l’intention des équipes-écoles pour la révision des normes et modalités d’évaluation des apprentissages. Québec: Gouvernement du Québec.
Ministère de l’Éducation du Québec. (2020). Référentiel de compétences professionnelles de la profession enseignante. Québec: Gouvernement du Québec.
Ministre de l’Éducation, de la Citoyenneté et de la Jeunesse. (2006). Repenser l’évaluation en classe en fonction des buts visés: l’évaluation au service de l’apprentissage, l’évaluation en tant qu’apprentissage, l’évaluation de l’apprentissage, 2e édition. Manitoba: Gouvernement du Manitoba.
Senécal, I. (2016). Comment donner une rétroaction efficace aux élèves ? Québec : Collège Sainte-Anne.
Université TÉLUQ. (2021). J’enseigne à distance.
Repéré à https://jenseigneadistance.teluq.ca/course/view.php?id=2