Dans mon précédent article, Évaluation 101 – Partie B, j’ai exploré l’étape incontournable du processus d’évaluation des apprentissages, c’est-à-dire la planification. En effet, c’est à partir de celle-ci que vont découler les décisions et les choix des enseignant·es afin d’évaluer les élèves de manière juste, égale et équitable (figure 1) tout en respectant les lois et règlements du système éducatif québécois : laLoi sur l’instruction publique (LIP), le Régime pédagogiqueet la Politique d’évaluation des apprentissages.
Je me penche maintenant sur les quatre autres étapes du processus d’évaluation des apprentissages soit la prise d’information et l’interprétation, le jugement, la décision-action et la communication (figure 2).
À noter que même si je présente les étapes de façon linéaire, le processus d’évaluation est itératif.
LA PRISE D’INFORMATION ET L’INTERPRÉTATION
Cette étape se réalise en deux temps. L’information doit d’abord être collectée pour ensuite être interprétée.
La prise d’information
Dans un premier temps, l’enseignant·e recueille et collige des données (informations, traces, preuves) pertinentes, variées et suffisantes sur les apprentissages afin de porter un jugement sur les connaissances acquises et sur le niveau de développement des compétences des élèves.
Cette prise d’information se fait par des moyens formels (productions, situations d’apprentissage, examens, tests, tâches complexes, devoirs, travaux, etc.) ou informels (observations, conversations, entrevues, etc.).
Lors de cette étape, l’enseignant·e doit privilégier la participation de l’élève soit par l’autoévaluation, lacoévaluation ou l’évaluation par les pairs afin de le responsabiliser dans son apprentissage.
Ces preuves d’apprentissages peuvent être recueillies à l’aide d’outils (des grilles d’observation, des grilles d’évaluation, des grilles d’appréciation, des listes de vérification, etc.) et consignées soit dans un journal de bord, un portfolio, un dossier d’apprentissage et d’évaluation, un carnet de traces ou un fichier numérique de consignation.
Réflexion :
Quels moyens (formels ou informels) favorisez-vous pour colliger des informations sur les apprentissages de vos élèves ? Utilisez-vous l’autoévaluation, la coévaluation ou l’évaluation par les pairs ? Pourquoi ?
Par la suite, l’enseignant·e interprète les données recueillies, c’est-à-dire donne un sens aux divers messages provenant des preuves d’apprentissage, car de « […] telles informations présentent peu d’intérêt si elles ne sont pas interprétées […] » (Durand et Chouinard : 2012).
L’interprétation de l’enseignant·e peut se faire selon une approche normative, critériée ou dynamique (figure 3). Je vous invite à regarder de plus près les différents types d’interprétation sur lesquelles l’enseignant·e s’appuie pour porter son jugement.
Lorsque le résultat d’un élève pour un test, un examen ou une épreuve est comparé à celui des autres élèves de la classe, de la commission scolaire, du centre de services scolaire ou même de la province, c’est une interprétation normative. Tandis que si des critères sont utilisés pour analyser les résultats d’un élève, c’est-à-dire que si l’on compare les résultats de l’élève avec ce qui est attendu (attentes de fin de cycle et critères d’évaluation) et non pas avec d’autres élèves, cette interprétation est alors critériée. Et quand on observe la progression personnelle d’un élève, qu’on tient compte de ses progrès et des apprentissages réalisés, c’est une interprétation dynamique.
Dans nos écoles, on a parfois recours à l’interprétation dynamique. Elle est surtout utilisée pour porter un jugement sur les progrès de l’élève, son autonomie, son cheminement et son développement, notamment lors de la première communication aux parents et lors de la mise en place d’un plan d’intervention.
Quant à elle, l’interprétation normative est surtout utilisée pour recueillir l’information concernant l’acquisition de connaissances avec, en autre, les tests et examens à choix multiples. Or, c’est une approche de moins en moins utilisée au profit de l’interprétation critériée qui est préconisée dans la Politique d’évaluation des apprentissages et les écrits scientifiques. De plus, l’approche critériée démontre de nombreux avantages : « diminuer la subjectivité du correcteur, permettre une rétroaction plus efficace, baliser le jugement du correcteur, etc. Il faut aussi mentionner que celle- ci est associée étroitement à la fonction d’aide à l’apprentissage de l’évaluation. » (Dionne: 2015)
L’interprétation critériée
Pour réaliser une interprétation critériée, l’enseignant·e a recours à divers outils qui comportent des critères d’évaluation et qui sont souvent accompagnés d’échelles et ce, selon l’intention et la fonction de l’évaluation retenue.
Afin de créer des outils, le Programme de formation de l’école québécoise (PFÉQ) et les Cadres d’évaluation des apprentissages fournissent plusieurs critères d’évaluation. Or, parfois généraux, ils doivent être précisés et explicités.
Pour ce faire, il est judicieux de s’appuyer sur les trois qualités essentielles à la formulation de critères proposées par Laurier et al. (2005) que sont la pertinence, l’observabilité et l’univocité (figure 4).
Se poser les questions suivantes est incontournable pour formuler adéquatement les critères :
Quels sont les éléments essentiels ?
Quels sont les aspects observables ? Par quelles actions peut-on les observer ?
Comment formuler le critère pour assurer une compréhension commune ?
Une fois les critères formulés, il faut choisir parmi différents types d’échelles (figure 5) pour les accompagner, quelles soient de forme binaire (échelle dichotomique) ou sous forme de continuum (échelles uniformes ou descriptives).
Ce choix se fait toujours en fonction de l’intention d’évaluation tout en tenant compte des degrés d’efficacité des échelles afin d’être en mesure d’interpréter efficacement les données et de porter un jugement de qualité.
Les échelles
Qu’en est-il exactement des différentes échelles ? Je vous propose de prendre quelques instants pour regarder la figure 6 qui présente en un coup d’œil les différents types d’échelles accompagnés d’exemples concrets.
Quand c’est le temps de choisir parmi les différentes échelles, les échelles descriptives sont à privilégier, car en plus de donner à l’élève « davantage d’information quant à ses forces et ses lacunes » (Durand et Chouinard : 2012), elles permettent à l’enseignant·e de porter un jugement efficace sur les connaissances acquises et sur le niveau de développement des compétences des élèves.
Pour résumer, l’étape de la prise d’information et de l’interprétation consiste à recueillir des données (traces, preuves) pertinentes, variées et suffisantes sur les apprentissages de l’élève et à leur donner un sens en les interprétant, c’est-à-dire faisant une interprétation critériée (comparer les données avec ce qui est attendu, et ce, à l’aide de critères pertinents, observables et univoques qu’on retrouve dans une échelle descriptive).
Ainsi, cette interprétation critériée qui « semble montrer de solides qualités de validité et de fidélité » (Durand et Chouinard : 2012) permet à l’enseignant·e de porter un jugement de qualité pour ensuite prendre des décisions éclairées.
Réflexion :
Sur quelles approches vous appuyez-vous pour donner du sens (interpréter) aux informations recueillies ?Comment choisissez-vous et formulez-vous vos critères d’évaluation ? Quelles échelles utilisez-vous? Laquelle aimeriez-vous inclure dans votre pratique ?
LE JUGEMENT
C’est l’étape où l’enseignant·e se prononce et porte un jugement sur la progression de l’élève ainsi que sur le développement de ses compétences à la lumière des informations collectées et interprétées.
Le jugement professionnel
Même si le jugement est une étape du processus d’évaluation des apprentissages, il n’en demeure pas moins qu’il est présent tout au long de l’évaluation (figure 7). En effet, le jugement professionnel de l’enseignant·e intervient à chaque prise de décisions que ce soit lors de la planification, de la collecte d’informations, de la sélection des critères d’évaluation, de la création d’échelles, etc. Bref, il ne s’exprime donc pas seulement lorsqu’il faut produire des bulletins, mais bel et bien quotidiennement !
Bien qu’il constitue en soi une étape du processus d’évaluation, le jugement apparaît en filigrane tout le long de l’évaluation. (MEQ: 2003)
De plus, le jugement s’exerce en fonction d’un but précis, celui de la prise de décision qui peut être fait dans une optique d’aide à l’apprentissage ou de reconnaissance de compétences.
Il faut se rappeler que l’enseignant·e qui porte un jugement le fait à partir de son expérience, de sa formation initiale ou continue et bien évidemment de ses caractéristiques personnelles, de ses croyances et valeurs. Ce jugement n’est donc pas totalement objectif. En fait, des biais (figure 8) peuvent avoir un impact sur le jugement professionnel de l’enseignant·e.
Tout comme les caractéristiques d’un·e élève peuvent également affecter le jugement de l’enseignant·e (Fontaine, Savoie-Zajc et Cadieux : 2020) :
l’attractivité d’un·e élève (ex. : Nancy me fait penser à moi au même âge)
le comportement de classe (ex. : L’élève qui dérange et parle tout le temps en classe)
l’origine ethnique (ex. : Les élèves provenant de certains pays sont plus studieux)
les stéréotypes liés aux prénoms (ex. : Tous les Mathis sont artistiques)
les comportements liés au sexe de l’élève (ex. : Les garçons sont bons en math et science)
Bref, les enseignant·es doivent être conscients des différents biais qui peuvent affecter la validité de leur jugement et faire preuve de rigueur, de cohérence et de transparence (figure 9), qualités essentielles au jugement et qui sont, en fait, les valeurs instrumentales de la Politique d’évaluation des apprentissages (MEQ : 2003).
Dans cette recherche d’objectivité, les enseignant·es, doivent également développer des pratiques pour instrumenter leur jugement professionnel (figure 10) et ainsi en accroître la validité.
Qu’est-ce que le jugement professionnel selon vous ? Avez-vous confiance en la validité de votre jugement professionnel ? Pourquoi ?
LA DÉCISION-ACTION
À l’étape précédente, l’enseignant·e a pris position sur le cheminement de ses élèves en s’efforçant d’être le plus objectif possible, c’est-à-dire en cherchant à contrer différents biais et à instrumenter son jugement. S’ensuivent alors des actions et des décisions pédagogiques ou administratives selon les différents moments. Par exemple, à la fin d’une séquence d’apprentissage ou d’une étape, les services à l’élève (flexibilité pédagogique, adaptation ou modification) seront ajustés et des activités de mise à niveau seront offertes aux élèves ayant certaines difficultés.
Tandis qu’à la fin d’une année ou d’un cycle, s’appuyant sur la reconnaissance des compétences (réussite, échec, incomplet) dans le bulletin, des décisions seront prises sur le parcours scolaire de l’élève, c’est-à-dire la poursuite ou l’arrêt de son cheminement. Ce sont des décisions formelles qui ont des conséquences importantes pour l’élève.
Que ce soit des décisions et des actions à caractère informel ou formel, elles doivent absolument être communiquées à l’élève, à ses parents et aux intervenants du milieu scolaire.
Réflexion :
Quand, comment et avec qui décidez-vous des actions à entreprendre pour favoriser la réussite de vos élèves ?
LA COMMUNICATION
Cette dernière étape du processus d’évaluation permet de communiquer les informations aux élèves, aux enseignant·es, aux intervenant·es et aux parents (figure 11) dans le but de favoriser la réussite scolaire de l’élève.
D’abord, l’élève est informé de l’état de ses apprentissages et du développement de ses compétences de façon régulière et continue pour l’aider à cerner ses forces et les défis à relever.
Ensuite, une communication avec les parents est indispensable pour leur permettre de suivre la progression de leur enfant tout en leur permettant de constater leurs forces et leurs défis afin de pouvoir les soutenir adéquatement à la maison.
Le bulletin ne devrait pas surprendre l’élève et ses parents, mais plutôt être une confirmation de la situation de l’élève. (Fontaine, Savoie-Zajc et Cadieux : 2020)
Hubbard (2016) propose cinq stratégies pour établir et maintenir une communication positive avec les parents et favoriser leur engagement (figure 12).
Finalement, les enseignant·es communiquent, au besoin, avec les autres professionnels de l’éducation (direction d’école, spécialistes, etc.) qui jouent aussi un rôle dans la progression des apprentissages de l’élève.
La communication permet donc à tous les agent·es du système scolaire d’assurer leur rôle et de soutenir l’élève dans sa réussite scolaire.
Les outils et moyens de communication
Plusieurs outils sont utilisés pour communiquer les résultats et l’information concernant l’évaluation de l’élève : le bulletin unique, le relevé de notes du ministère de l’Éducation, le plan d’intervention, le plan de services et le plan de transition ainsi que le portfolio (d’apprentissage, de travail, de présentation et numérique).
De même, plusieurs moyens sont employés pour communiquer de façon formelle et informelle (figure 13).
Somme toute, il est important d’établir une communication régulière, continue et efficace pour favoriser « un climat rassurant pour l’élève et le parent » (Fontaine, Savoie-Zajc et Cadieux : 2020).
Réflexion :
Quels outils ou moyens de communication utilisez-vous déjà ? Quels autres aimeriez-vous intégrer dans votre pratique ? Pourquoi ?
Je viens d’explorer les dernières étapes du processus d’évaluation des apprentissages avec la prise d’information et l’interprétation, le jugement, la décision-action et la communication. J’ai voulu me familiariser avec ce processus pour parfaire ma compétence en évaluation des apprentissages (compétence 5 du Référentiel de compétences professionnelles du MEQ) afin d’être en mesure de porter un jugement professionnel sur les apprentissages et le développement des compétences de mes élèves. J’espère que mes articles trouveront un écho auprès de mes collègues enseignant·es et conseiller·ères pédagogiques !
C’est ainsi que se termine ma trilogie Évaluation 101. Grâce à mes recherches, mes lectures et les nombreuses conversations sur le sujet avec des collègues, je peux affirmer que j’ai amadoué la bête qu’est l’évaluation !
Durand,M.-J. et Chouinard, R. (2012). L’évaluation des apprentissages: De la planification de la démarche à la communication des résultats. Édition revue et augmentée. Montréal: Marcel Didier.
Fontaine, S., Savoie-Zajc, L. et Cadieux, A. (2020). Évaluer les apprentissages. Démarche et outils d’évaluation pour le primaire et le secondaire. Montréal: Éditions CEC.
Hubbard, B. (2016). 5 Future-Focused Tactics for Parent Communication. Principal, 96, 42-43.
Julie est conseillère pédagogique à LEARN. Elle a dirigé divers projets clés, dont Accent Québec et le Passeport de prise de risques linguistiques. Elle a enseigné au niveau primaire et secondaire à la CSSWL et à l’UQAM comme superviseure de stage. Elle a également été consultante auprès du ministère de l’Éducation du Québec.